L’énigme de Kaspar Hauser

Voyage en terre inconnue.

Des milliers d’articles, des centaines de livres, des chansons, le poème de Verlaine, une demi-douzaine de films ou de téléfilms se sont penchés sur l’histoire invraisemblable et inexplicable de Kaspar Hauser, né sans doute vers 1812 et mort assassiné – ou peut-être suicidé ? – en 1833. Une singulière fulgurance en Bavière, le mystère d’une existence effroyable. Rien à voir, pourtant avec les prétendus enfants-loups, avec L’enfant sauvage qui fascinera François Truffaut. Lorsqu’il apparaît, brusquement, sans que personne ne puisse le reconnaître ou l’identifier, l’adolescent de 16 ans sait à peu près se tenir debout, écrire son nom, demeurer propre et balbutier quelque mots.

Le film de Werner Herzog suit fidèlement, à ce qu’il semble, le court passage public sur Terre de cet individu étrange, à l’intelligence au moins normale et possiblement aiguë, séquestré jusqu’à sa seizième année on ne sait où et on ne sait pourquoi. Victime d’un complot ? Rejeton gênant d’une grande famille ? Résultat d’une histoire amoureuse inadmissible ? Toutes les hypothèses ont couru, aussi nombreuses que celles qui touchent à la survivance de Louis XVII. Voilà qui est beaucoup plus romanesque que ne le sont les abominables découvertes qui se font de temps en temps d’enfants ou d’adultes séquestrés par leurs parents, généralement aux États-Unis.

L’énigme de Kaspar Hauser est un film un peu guindé, rigoureux, sévère ; très germanique, pourrait-on dire. La physionomie des habitants, quelles que soient leurs extractions, leurs positions professionnelles, est austère. ; les ciels sont presque toujours uniformément gris ; les rues vides, sagement ordonnées, silencieuses (on retrouvera cette atmosphère dans un film postérieur d’HerzogNosferatu fantôme de la nuit).

Mais auparavant, entrée du film dans la cave sombre où Kaspar (Bruno S.) est attaché, comme une bête de somme par une courroie et vit sur une litière sordide ; on devine la puanteur, la vermine dont l’homme est couvert ; il n’est nourri que de pain grossier. Un inconnu, ses seize ans révolus, vient le sortir du cloaque ; lui apprend à se tenir debout, à balbutier quelques mots, l’abandonne sur une place de Nuremberg. La population s’étonne, s’émeut. On trouve sur l’inconnu quelques lignes qui expliquent la situation : Kaspar a été jadis confié à un homme pauvre, chargé d’une nombreuse famille, qui l’a élevé délibérément hors du monde et qui s’en débarrasse. Tout est là.

Déshabillé, scruté, examiné, lavé, l’homme fait peu à peu son apprentissage : il apprend à parler, à manger, à se tenir droit et à marcher. Les braves gens du coin, interloqués, par charité ou par curiosité, s’occupent de lui jusqu’à sa réputation arrive aux oreilles des autorités, jusqu’à ce que Kaspar devienne une sorte de vedette. On peut même penser à Elephant man de David Lynch où le malheureux monstrueux John Merrick, lui aussi exhibé un temps dans une baraque de foire, devient lui aussi à la mode.

Le cas de Hauser est bien plus mystérieux. Il est victime d’attaques criminelles, un coup de pistolet d’abord puis trois ans plus tard d’une mortelle attaque au couteau . Mais l’interrogation demeure : est-il victime d’une machination ou s’est-il suicidé ? Herzog ne tranche pas.

Et il a bien raison, parce que tout ce qui sourd de son film conforte le caractère incompréhensible du drame. Y compris la dernière scène, chirurgicale, où l’autopsie constate des anomalies physiques graves, un foie et un cerveau anormaux, un cervelet trop développé. Jusqu’au bout le mystère. Et devant la qualité de jeu extraordinaire de Bruno S. (Bruno Schleinstein) lui-même victime d’une drôle de vie on admet sans trop de difficulté que l’acteur, qui avait alors 42 ans puisse incarner un jeune sauvage censé en avoir 16.

Werner Herzog est un cinéaste froid, glacé, même, fasciné par les anomalies physiques (Les nains aussi ont commencé petits) et par l’outrance et la folie (AguirreFitzcarraldo) ; il tient sa caméra à distance, ne permet au spectateur qu’un regard distant. Cela peut entraîner, ici ou là, une baisse de rythme ; mais c’est tout de même bien fascinant.

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