À l’est d’Eden

Point cardinal.

Curieuse idée de faire précéder le générique d’un prologue en images (presque) fixes ; habituellement, ce genre de procédé n’était utilisé que pour les films à grand spectacle d’une longueur inhabituelle, en sus souvent segmentés par un entracte (par exemple Autant en emporte le vent, ou Les Dix commandements). Là, Elia Kazan s’est limité à presque deux heures et on ne comprend pas très bien  l’utilité de ce prologue, qui permet simplement d’entendre à loisir la mélodie du compositeur Leonard Rosenman, ensuite utilisée jusqu’à plus soif tout au long du film. En tout cas ça ne fait qu’ajouter à la lenteur bien décevante et ennuyeuse d’un film évidemment surcôté. Si À l’est d’Eden demeure encore un peu dans les mémoires, c’est vraisemblablement parce que c’est le premier film tourné par l’étoile filante James Dean qui se tua en voiture juste après le troisième.

Parce que, sinon, c’est bien monotone, quoique fort habilement tourné, avec une grande inventivité dans les angles de prise de vues et – surtout à la fin – une belle utilisation de la couleur ; il y a dans les dernières séquences des chatoiements de brun et de bleu sombres qui sont du meilleur effet. Mais est-ce que cela suffit à présenter quelque chose d’intéressant ?

Je dois dire que je n’ai jamais lu une seule ligne de John Steinbeck (Quoi ? Pas même Les raisins de la colère ? – Eh non ! Pas même), ce qui ne me flatte ni ne me navre ; mais je viens de lire que le film de Kazan n’était l’adaptation que de la dernière partie de l’œuvre littéraire plus large ; ceci explique peut-être (mais je n’irai pas vérifier) les incohérences de comportement des protagonistes, à qui on ne parvient pas une seconde à croire et qu’on ne comprend jamais complètement.

Oui, oui, j’ai bien saisi évidemment qu’il s’agissait d’une sorte de transposition du récit biblique de l’affrontement de Caïn et Abel dans la désolante balbutiante Californie de 1917. Il faudrait être vraiment sot ou vraiment inculte pour l’ignorer tant les références sont claires et explicitées encore davantage par le prénom d’Adam donné au père (Raymond Massey) des deux frères Track, Aron (Richard Davalos) et Caleb (James Dean) ; mais – je me répète – il me semble qu’il manque au récit une cohérence, une structure qui pourrait justifier les agissements de tout le petit monde, y compris l’attitude de la femme d’Adam et mère des jumeaux, Kate (Jo Van Fleet), qui a abandonné de longue date sa famille pour aller tenir une maison close dans la ville voisine et dont Aron et Caleb ignoreront longtemps la survie. Tout cela, qui doit être parfaitement justifié dans le roman, vous arrive en masses indistinctes dans le film sans que vous puissiez en comprendre vraiment le sens.

Et puis c’est assez curieusement interprété, de façon théâtrale ; c’est sur la scène, paraît-il, qu’Elia Kazan a repéré James Dean qui jouait L’Immoraliste d’André Gide à Broadway ; il sortait du fameux Actor’s studio de Lee Strasberg ; je suis bien trop incompétent en la matière pour trancher souverainement si ces mimiques outrancières, ces gestes exaltés, cette façon de porter le regard où on ne l’attend pas est issu de l’enseignement de cette boutique. Mais en l’espèce, j’ai été bien gêné, même dans les scènes censées être les plus dramatiques, de trouver, éparses, des techniques de jeu qui me faisaient songer aux pires recettes du mélodrame du Boulevard du crime reconstitué par Marcel Carné dans Les enfants du Paradis.

En face de Dean, son jumeau, qui devrait être du même niveau de caractère, pour que le mythe biblique soit respecté, tortillonne le bien pâle Davalos qui n’a pas laissé de trace. Quant à la jeune fille dont les deux frères sont mêmement amoureux, Avra (Julie Harris), elle est d’une parfaite insignifiance.

Bref, c’est lourd, c’est lent, c’est ennuyeux ; je ne connais pas particulièrement Elia Kazan dont j’ai pourtant bien apprécié Sur les quais ; mais À l’est d’Eden ne me donne pas particulièrement envie d’engager une exploration…

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