Casanova, un adolescent à Venise

Éternel opéra.

Lorsque le film commence, en 1733, Casanova, né en 1725, est âgé de 8 ans. Lorsqu’il s’achève, en 1742, il en a 17 et il a décidé, pour réussir sa vie, à ne pas suivre la voie ecclésiastique qui lui était promise et où il aurait été éclatant, mais celle de son plaisir. C’est d’ailleurs peu dire que, pendant de longues années, il y réussira parfaitement, avant d’achever son existence dans des tonalités bien plus sombres, en 1798, à Dux, en Bohême, dans l’exil, la pauvreté et l’abandon. Un aventurier éclatant et séduisant, une image de ce que fut notre Civilisation.

Mais ce ne sont pas les enfances du séducteur magnifique qui intéressent vraiment Luigi Comencini. Ce qu’il veut montrer en plaçant en simple trame les péripéties des débuts du héros, c’est le tableau qu’il dresse de Venise : la Sérénissime un peu mourante de la première moitié du 18ème siècle, une cité encore puissante, toujours riche, mais déjà figée, blessée, malade. Pourrissante, comme le sont les maisons et les canaux (dénichés du côté du quartier de l’Arsenal) baignés par l’eau glauque, putride, puante, maisons et canaux qui s’effritent avec une grande noblesse mais donnent tout de même une assez belle image de la Mort qui vient.

Casanova, un adolescent à Venise donne certainement une image des plus fidèles d’une ville où cohabitent sans s’en étonner le luxe et la crasse, tout cela sur fonds de théâtre, d’opéras, de carnavals, de galanteries, de libertinages, de musiques, de vertus et de débauches. Ceux qui le peuvent dansent sur la ligne de crête, espérant pouvoir basculer au milieu des favorisés de la Fortune, grâce au talent, à l’intelligence, à la beauté.

C’est bien cela que présente Comencini en donnant pour modèle l’ascension de ce jeune garçon, presque abandonné à sa naissance par ses parents Gaetano (Mario Beron) et Zanetta (Maria Grazia Buccella), comédiens insouciants et désinvoltes), aimé par sa grand-mère (Clara Colosimo), remarqué pour son extrême intelligence par son précepteur Don Gozzi (Raoul Grassilli) ; mais surtout, d’emblée, captivant les hommes et fascinant les femmes. Et tout cela sans efforts, sans manigances, sans supercheries : un garçon aux dons bénis des dieux. Ça arrive.

Sur les cinq premiers chapitres de la superbe Histoire de ma vie (écrite en français et en trois mille pages cavalcadantes de brio), Comencini fixe une caméra magnifique en privilégiant, en mettant en exergue quelques épisodes : ainsi la longue séquence de l’opération subie par le père de Casanova – réalisée avec le concours très documenté d’un spécialiste de l’histoire de la médecine – qui est un des morceaux de bravoure du film, ne représente-t-elle qu’une cinquantaine de lignes, sans doute moins, dans le manuscrit de l’écrivain. Même chose (j’exagère) pour les velléités de déniaisement de Giacomo par Bettina, la sœur hardie du précepteur. Et pour un peu de tout. Le réalisateur s’appuie sur des épisodes, mais à son gré il les resserre ou les distend pour présenter au spectateur la société vénitienne.

La première partie du film, qui présente Casanova entre 8 et 10 ans est absolument parfaite ; l’acteur qui l’interprète, (Claudio de Kunert) détient tout à la fois la gravité et l’innocence que le rôle demande. Lumière agonisante des canaux, décadence des bâtisses mouillées, jeux de l’ombre et de la lumière, grouillement du petit peuple souriant, curieux, crédule, naïf, tout prêt à s’émouvoir pour une belle histoire amoureuse et, presque en même temps d’aller vibrer à une pendaison…

On a quelque raison d’être moins convaincu par la seconde partie ; un peu parce que l’acteur choisi pour interpréter Casanova adolescent, Leonard Whiting, si beau qu’il est, semble un peu figé, davantage parce que l’on entre dans un récit plus convenu où le jeune homme commence à empiler les conquêtes féminines ; ceci par une suite de chances et de bonheurs qu’il doit à l’évidence de la séduction qu’il exerce sur chacun ; le vieux sénateur Malipieri (Wilfrid Brambell), qui ne rêve que de jeunesses complaisantes, lui met le pied à l’étrier ; et le beau monde vénitien, sans presque le vouloir, le guide vers les plus beaux chemins de séduction. Mais si le récit est conforme à la réalité, il a moins de charme, presque moins de véracité.

Le film demeure un livre d’images magnifiques ; il est plein de belles maisons, de belles tenues, de belles filles (joli numéro de Senta Berger, belle prostituée de luxe), de ces légèretés auxquelles nous ne sommes plus guère habitués. Peut-être peut-on dire, pourtant, qu’il apparaît quelquefois comme la Venise de l’époque : un peu las.

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