Compartiment tueurs

« L’important, c’est le mobile ! »

Pour un premier film, Costa Gavras montrait qu’il connaissait déjà la musique et savait conduire une histoire, diriger des acteurs, conclure en temps voulu. Il n’y en a pas tant que ça qui peuvent en dire autant. En tout cas on ne s’ennuie pas une seconde dans Compartiment tueurs, où un meurtre commis dans l’étroit espace d’un train de nuit qui relie la Méditerranée à Paris et, plus étroitement encore, dans le compartiment où s’étagent six couchettes où sont censées dormir six personnages évidemment divers.

Je dois dire que je ne suis pas très amateur des récits imaginés par Sébastien Japrisot, que j’ai toujours jugés trop élaborés, trop architecturés, trop horlogers (ai-je souvent écrit) pour me convaincre vraiment : c’est ingénieux, quelquefois sophistiqué, mais à mon sens trop artificiel, jouant sur des secrets épouvantables et refoulés (L’été meurtrierUn long dimanche de fiançailles)  ou sur des hasards traumatiques et improbables (Adieu l’ami, La course du lièvre à travers les champs). Cela dit, si on se laisse emporter par la vague, c’est assez efficace, même si une deuxième vision montre forcément les ficelles et habiletés artificielles et, sans doute, la simple dextérité des procédés.

Cela étant, lorsque, comme dans Compartiment tueurs, c’est mené tambour battant, on assiste à un cinéma facile mais assez séduisant. D’autant que, lorsque c’est impeccablement interprété, avec une grande abondance de véritables acteurs, ceux qui sont en premier plan, mais aussi ceux qui sont en deuxième ou en troisième horizon ou ceux qui ne font qu’une apparition minimale (par exemple, là, Daniel Gélin, Claude Dauphin ou Françoise Arnoul), on ne boude pas son plaisir et on suit avec attention ces complications dont on oublie au fur et à mesure les invraisemblances.

Au premier plan de la distribution, Yves Montand ; on peut noter que Compartiment tueurs est un des quelques films qu’il a tourné avec sa femme, Simone Signoret ; il y avait eu, auparavant, Les sorcières de Salem de Raymond Rouleau ; il y aura ensuite L’aveu également de Costa Gavras puis Police Python 357 d’Alain Corneau ; ce n’est pas considérable ; d’ailleurs Compartiment tueurs est un film où les destinées et renommées cinématographiques des deux acteurs paraissent se croiser. Simone Signoret, malgré de très grands rôles ultérieurs (L’armée des ombresLe chatLa veuve CoudercL’Étoile du Nord) voit sa renommée pâlir, s’estomper au moment même où celle de son mari commence à éblouir jusqu’à ce qu’il devienne l’immense vedette des années 70. Et, de fait, dans Compartiment tueurs, le rôle d’Éliane Darrès/Signoret, actrice de second plan vieillissante qui se paye des gigolos paraît aujourd’hui et paraissait peut-être déjà alors comme curieusement prémonitoire.

Tout le reste est très solide : de Jacques Perrin à Pierre Mondy, de Michel Piccoli à Charles Denner on retrouve la solide armature du cinéma français des belles années. Et on n’a jamais vu mauvais Jean-Louis Trintignant ; il n’y a que Catherine Allégret qui est un peu en dessous de son rôle. Et derrière il y a encore Christian Marin, André Valmy, Jacques Dynam, Maurice Chevit… Du solide.L’intrigue est si ingénieuse, comme toujours chez Japrisot, qu’on en perd le fil et qu’on ne sait plus très bien, à la fin, pourquoi tout se termine par le triomphe des amoureux innocentés et la mort du méchant ripou (Claude Mann). Au fait – j’ouvre cela à la sagacité de mes contemporains – n’y a-t-il pas entre Mann et Trintignant une relation homosexuelle sur le dos de la pauvre Signoret ? Il me semble qu’à un moment la chose est suggérée… Mais je peux avoir mal compris…

En tout cas on se laisse séduire, ce qui n’est déjà pas mal.

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