Dunkerque

Reportage en direct.

En prenant le parti de dresser une vue panoramique de ce qui s’est passé dans la poche de Dunkerque entre le 26 mai et le 4 juin 1940, Christopher Nolan a réalisé un très beau reportage, très spectaculaire et sans doute très exact sur le rembarquement des 340000 soldats qui purent être évacués du guêpier. Avec un montage très rapide, qui saute – un peu trop rapidement à mon gré – d’un sujet à l’autre – fantassins qui attendent leur départ sur les immenses plages, aviateurs britanniques chargés de protéger les convois en abattant le maximum de bombardiers allemands, civils anglais qui, à l’appel de Churchill traversent la Manche avec leurs propres bateaux pour sauver leurs compatriotes – on donne, j’imagine, une impression assez fidèle des mille drames et des mille exploits qui ont entouré la bataille.

Mais précisément, en n’orientant le spectateur que superficiellement sur quelques personnages, à peine creusés et quelquefois mal identifiés, Nolan donne un aspect un peu documentaire à son film, tout au moins dans ses trois premiers quarts ; il est vrai qu’à force de revenir sans cesse sur les principaux personnages – les fantassins (Harry Styles et Fionn Whitehead notamment), les deux aviateurs Collins (Jack Lowden) et Farrier (Tom Hardy), le père et le fils Dawson (Mark Rylance et Tom Glynn-Carney) qui pilotent un petit bateau de secours – il les dévoile un peu, leur donne un peu de chair humaine, en révèle les failles et les grandeurs, mais cela reste assez inconsistant.

Il n’est certainement pas facile de dresser une vaste perspective où coexistent cent actes divers et de focaliser le regard sur des personnages à qui on est censé s’attacher ; un autre bon film sur la tragédie de Dunkerque, Week-end à Zuydcoote d’Henri Verneuil (qui, c’est vrai, montrait les troupes françaises) tombait sans doute dans l’excès inverse de celui de Nolan, s’attachant un peu trop aux aventures d’un petit groupe caractérisé (BelmondoMarielleMondy, etc.).

Tel qu’il est, pourtant, Dunkerque est un beau spectacle réalisé avec de considérables moyens et qui, malgré cette volonté à mes yeux trop systématique que j’évoquais plus haut de passer très rapidement du sable à la mer, de la carlingue à la coupée, de quitter les personnages dès qu’on les a vus deux ou trois minutes pour en retrouver d’autres, tel qu’il est, le film est réussi et, malgré quelques longueurs ou brouillages, jamais ennuyeux. Nolan a le bon goût de n’introduire dans son film aucune sous-intrigue romanesque ou sentimentale et les seules traces d’émotion qu’il contient, survenant à la fin, ne sont pas indignes du reste (la révélation que le fils aîné Dawson, aviateur de la R.A.F. a été abattu au tout début de la guerre, l’insertion dans le journal local d’un article sur George (Barry Keoghan), équipier des Dawson, « mort en héros »)…

Cette relative sécheresse permet de laisser toute sa place à l’exaltation de l’héroïsme dont beaucoup ont fait preuve ; il se peut bien que les Anglo-Saxons n’aient pas le détestable vice qui nous taraude, nous Français, de nous gratter les plaies et de faire de la repentance l’ultime bonheur d’un affreux masochisme. Tout dans Dunkerque respire la fierté et le goût de la grandeur ; le meilleur des symboles est le rôle du Commander Bolton (le grand Kenneth Branagh), qui organise le départ des troupes et, après le dernier Britannique rembarqué reste à son poste pour aider les Français à s’en sortir.

Il n’est donc pas indifférent que le film s’achève sur le discours prononcé par Winston Churchill, le 4 juin 1940, à l’issue de l’opération de Dunkerque : Nous irons jusqu’au bout, nous nous battrons en France, nous nous battrons sur les mers et les océans, nous nous battrons avec toujours plus de confiance ainsi qu’une force grandissante dans les airs, nous défendrons notre île, peu importe ce qu’il en coûtera, nous nous battrons sur les plages, nous nous battrons sur les terrains de débarquement, nous nous battrons dans les champs et dans les rues, nous nous battrons dans les collines; nous ne nous rendrons jamais, et même si, bien que je n’y croie pas un seul instant, cette île ou une grande partie de cette île était asservie et affamée, alors notre Empire au-delà des mers, armé et gardé par la flotte britannique, continuera de lutter, jusqu’à ce que, quand Dieu le voudra, le Nouveau Monde, avec tout son pouvoir et sa puissance, vienne à la rescousse libérer l’Ancien.

À cette écoute, j’ai eu le cœur serré. Il n’est aucun peuple qui m’exaspère autant que le peuple britannique ; il n’en est aucun que j’admire autant.

 

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