Elle

Plein à craquer.

Il y a longtemps que l’on sait qu’Isabelle Huppert est une actrice magnifique, capable à elle seule d’illuminer un film et de lui donner de l’intérêt. Il y a longtemps, aussi, qu’on a compris que Paul Verhoeven est un réalisateur insolite et passionnant. Et en tout cas un homme capable de toucher à bien des genres et à leur apporter un éclat d’étrangeté, souvent même de folie. Cinéaste des terres de brume et de pluie protestantes, comme Michael Haneke ou Lars von Trier, il n’est pas davantage qu’eux solaire et mesuré et le bon goût n’est pas son point fort.

Et puis je ne connais pas plus que ça Philippe Djian, dont le roman Oh… a été adapté en Elle, si ce n’est pour avoir écrit le livre dont a été adapté 37°2 le matin par Jean-Jacques Beineix, histoire, on en conviendra, de démence et d’excès furieux. J’ai l’impression, sans en savoir davantage, que c’est une marque de fabrique de Djian. Passé mes indignations juvéniles sur l’infidélité des adaptations cinématographiques des œuvres littéraires que j’aimais, j’en suis venu à considérer, à avoir la conviction profonde que, dans la plupart des cas un film, pour être parfaitement réussi, ne peut pas contenir tout ce qu’un livre propose. L’acte de lire, plus lent, plus maîtrisé, plus réfléchi n’est pas de la même nature que l’acte plus instinctif, plus émotif, de regarder et la satisfaction n’intervient pas de la même manière.

Eh bien j’ai le sentiment que, comme l’ont dit d’ailleurs certains des commentateurs du film, que Paul Verhoeven a trop exactement placé dans son film tout ce qu’il y avait dans le roman. Et que malgré d’éminentes et d’évidentes qualités, ça craque un peu de partout ou, plutôt, ça fait éclater les coutures.

Qui est Elle ? Dirigeante autoritaire et rayonnante d’une entreprise prospère de jeux vidéo, Michèle Leblanc (Isabelle Huppert) doit tout de même gérer les états d’âme de Richard, son ancien mari (Charles Berling), l’aboulie de son grand dadais de fils Vincent (Jonas Bloquet), lui-même attifé d’une petite amie cinglée, Josie (Alice Isaaz), la névrose sexuelle de sa mère, Irène (Judith Magre, épatante) avec qui elle entretient des rapports presque hystériques. Il est vrai que le père de Michèle (et donc le mari d’Irène) est en maison centrale depuis trente ans pour avoir assassiné, après une remarque désobligeante de voisins, une bonne vingtaine d’enfants (plus quelques chiens et chats) dans des conditions affreuses.

Voilà qui n’est déjà pas mal. Se greffe là-dessus une amitié amoureuse ambiguë avec son associée, Anna (Anne Consigny) dont le mari, Robert (Christian Berkel) est épisodiquement l’amant de Michèle et des relations d’attirance-répulsion avec toute son équipe de geeks, concepteurs de jeux vidéo qu’elle mène à la baguette.

On me suit ? Je continue et j’ajoute à la troupe les voisins d’en face de la banlieue chic où vit Michèle sont un couple aussi sympathique qu’accueillant, Rebecca (Virginie Efira) et Patrick (Laurent Lafitte).

Premières minutes du film : Michèle est sauvagement violée par un type cagoulé ; elle ne porte pas plainte, dissimule même l’attentat à la plupart de ses proches. Mixez tout ce que je viens de vous dire et filmez les rapports de ce petit monde. Vous avez un film un peu long mais surtout un peu dispersé, qui explose de toute part, mais qui est loin d’être désagréable.

Pensant depuis longtemps que les lacs les plus calmes d’apparence peuvent dissimuler sous leurs eaux sereines et même placides des monstres étonnants et épouvantables, n’étant pas de ceux qui tombent des nues lorsqu’on leur apprend que le voisin de palier, si obligeant et si bien élevé, est un dangereux terroriste ou un pervers polymorphe, j’admets bien volontiers – et encore plus au cinéma – les déroulements les plus rocambolesques et les pires bizarreries ne me font peur que métaphoriquement. Mais là, ça va un peu trop fort dans l’écorchement de tous les personnages ; il me semble que Verhoeven aurait utilement pu élaguer quelques épisodes parasites et styliser davantage.

Cela dit, ce que j’écris est assez vain, en tout cas non pertinent : c’est comme de demander à Neuschwanstein de ressembler à Versailles.

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