Jules et Jim

Méfiez-vous des femmes !

Quatre ou cinq visions déjà de Jules et Jim, la dernière tout à l’heure et toujours le même étonnement que le film puisse bénéficier d’une aura pareille et être cité parmi les grandes réussites de François Truffaut alors que les débuts de la saga Doisnel (Les Quatre cents coups, Antoine et Colette, Baisers volés) mais aussi La peau douce, Tirez sur le pianiste, Le dernier métro, Vivement dimanche ont bien davantage de qualités.

Est-ce que le film a bénéficié, lors de sa sortie, du parfum distingué du scandale que pouvait susciter l’histoire de ce trouple (comme on dit, paraît-il désormais pour qualifier le ménage à trois, expression jugée trop proche du grasseyant vaudeville) ? Est-ce que, s’agissant du troisième film de Truffaut et du militantisme de ses copains des Cahiers du cinéma, la doxa de l’époque a tant crié au génie que le bourgeois, davantage amateur de Delannoy et de Grangier, n’a pas osé proclamer que cette histoire bizarre l’avait plutôt enquiquiné ? Va savoir !

Toujours est-il que je me suis à nouveau bien ennuyé et que je ne suis pas arrivé à marcher dans un récit aussi mollement filmé que sottement mené : on n’arrive pas une minute à croire à cette drôle de relation qui ne réunit pas que les trois personnages principaux, mais aussi tous les amants de Madame et les maîtresses de Messieurs. Et le paradoxe est pourtant que tout cela est tiré de la relation véridique et, paraît-il à peine romancée que fit Henri-Pierre Roché (c’est-à-dire le Jim du film) de sa rencontre avec le couple, dont est issu le célèbre Indigné majuscule Stéphane Hessel.

Autrement dit, d’une histoire survenue réellement et qui est celle à la fois de la frustration et de la liberté sexuelles (notions beaucoup moins antagoniques qu’on imagine), Truffaut filme un machin qui n’accroche pas, qui ne s’enclenche jamais, sauf, il est vrai, dans le premier quart d’heure, suffisamment vif et virevoltant pour qu’on puisse y croire. Mais ensuite, quel pensum ennuyeux, de la description interminable des aventures de la virago et de ses deux caniches !

On pourrait titrer en effet une glose sur le film La détraquée et ses deux nigauds ou, plus grossièrement La chieuse et ses têtes à claques ce long processus de dérèglement qui met en scène trois pantins sans substance et sans intérêt : qui peut bien ressentir la moindre empathie pour cette demi-folle égocentrique et ces deux rêvasseurs énamourés imbéciles qui subissent son imperium sans moufter alors que, sans elle, ils pourraient vivre une amitié intelligente, solide, marmoréenne ? Cette gonzesse leur pourrit la vie sans leur procurer une once de légèreté…

Je ne dis pas qu’il faudrait prendre en gaudriole cette question, qui n’est pas si simple, d’amours partagées. Mais on aimerait voir quelque chose d’un peu moins guindé : ce n’est pas parce que les trois clampins se donnent des bosses de rire ici et là qu’ils parviennent à convaincre, d’autant que les dialogues sont parmi les plus artificiels qui se puissent.

Il n’est pas tout à fait inutile, pourtant, de regarder Jules et Jim ; au moins pour le charme – trop peu employé, mais toujours bon à prendre – de Marie Dubois ; pour la qualité du jeu  – sur une aussi médiocre partition – de Jeanne Moreau ; et surtout, sans doute pour Le tourbillon de Serge Rezvani, chanté par Moreau qui est un joli petit chef-d’œuvre d’esprit.

Leave a Reply