La neige en deuil

Bataille dans la montagne.

Est-ce qu’il n’est pas étonnant que les riches capacités dramatiques des aventures en montagne, tragiques, exaltantes, cruelles, pleines de retournements angoissants et à même de donner des images magnifiques ne soient pas parmi les plus délaissées du cinéma ? Une rapide recherche sur Wikipédia ne signale que quelques œuvres au demeurant d’ailleurs généralement invisibles, comme L’enfer blanc du Piz Palü ou La lumière bleue (parce que Leni Riefenstahl y a collaboré) ou souvent presque documentaires comme Les étoiles de midi de Marcel Ichac. Je n’ai rien vu de tout ce qui est cité sinon – mais j’étais très très jeune – Premier de cordée de Louis Daquin qui m’avait d’ailleurs donné envie de lire le passionnant bouquin de Roger Frison-Roche dont il est adapté. Il semble que, lors des dernières décennies, grâce sans doute aussi à la plus grande facilité de filmer, on se soit aperçu de cette carence et qu’on ait essayé de la combler un peu (Cliffhanger de Renny HarlinVertical limit de Martin Campbell), mais enfin rien à voir avec l’abondance des films maritimes…

Mais je me souvenais aussi de manière encore assez nette, finalement, de cette Neige en deuil vue à sa sortie en 1956 ; et l’image du vieux guide Isaïe Teller (Spencer Tracy) retenant la chute de son jeune frère Christophe (Robert Wagner) de ses mains nues et la corde qui file à toute allure et qui se couvre de sang m’était encore bien présente…

Impressions et terreurs d’enfance sans doute, mais preuve, aussi, que le film est rudement bien fichu et aussi que la haute montagne est un bien beau terrain d’action (surtout quand on la regarde confortablement assis dans son canapé ; c’est comme le Tour de France). Issu d’un roman d’Henri Troyat, lui-même inspiré de l’histoire véridique de l’accident du Malabar princess, le film est avant tout une occasion de montrer, dans quelques belles séquences anxiogènes, les effroyables risques encourus par les conquérants des sommets. Le film d’Edward Dmytryk est d’une grande simplicité, bâti autour de deux personnages.

Deux frères, donc, d’une grande différence d’âge (20 ans). L’un, l’aîné, Isaïe, pondéré, serein, heureux de son sort mais, ancien guide de haute montagne, marqué à vie par l’échec d’une course où son client a dévissé et a péri, peut-être de son fait. Son cadet Christophe, assoiffé d’argent, gigolo d’occasion, fasciné par l’idée qu’il pourrait récupérer dans l’épave de l’avion qui vient de s’écraser l’argent et les bijoux des malheureuses victimes. Le vieux, qui a toujours veillé comme un père sur son cadet, accepte en désespoir de cause, de l’accompagner pour veiller encore un peu sur lui. Dans l’épave, il y a une survivante, une Hindoue qu’Isaïe veut sauver, que Christophe veut abandonner.

On devine, à partir de la simplicité du conflit, ce qui va se passer et qui est bien moralement correct ; ça n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est l’ascension, les crevasses, les ponts de neige, les cheminées qu’on escalade à grand peine ; c’est tout l’attirail des alpinistes, c’est le suspense qui naît dès qu’on se hisse, qu’on prend une aspérité presque imperceptible pour progresser de quelques centimètres, c’est le pas lourd des montagnards ; c’est la neige et la glace et le soleil…

C’est aussi la silhouette massive de Spencer Tracy qui porte le film à lui seul sur ses vieilles épaules et qui donne de la vie à un personnage un peu stéréotypé. Grand acteur, assurément. Et film solide.

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