L’aîné des Ferchaux

laine-des-ferchauxPas de clerc

Lorsqu’on a en tête Samouraï, Doulos, Cercle rouge et autre Armée des ombres, L’aîné des Ferchaux ne tient vraiment pas la route, la route interminable parcourue par les deux protagonistes dans des États-Unis gluants, poisseux, nocturnes.

Pourtant, Jean-Pierre Melville a déjà, à l’époque, trouvé son style (d’ailleurs il a déjà tourné Bob le flambeur, Deux hommes dans Manhattan, Léon Morin, prêtre et, précisément, Le doulos), mais, bizarrement, sur un pourtant excellent roman de Simenon, avec deux acteurs alors exceptionnels (Charles Vanel qui l’a toujours été, et Jean-Paul Belmondo qui l’était encore), avec une image d’Henri Decae, une musique de Georges Delerue, ça patouille un peu… et même énormément.

 Oh ! Il y a bien ce que l’on aime chez Melville, une confrontation de types pas absolument nets, une ambiguïté des rapports humains, une lumière dure, une absence de sensiblerie, une certaine misogynie… mais ça ne fonctionne pas comme d’habitude…
Ça commence pourtant parfaitement bien, sèchement, dans cette double lumière donnée à un petit boxeur minable, Michel Maudet (Jean-Paul Belmondo), abandonné par son manageur, Andréi (Andrex, qui fait une belle et trop courte apparition) et à un potentat venimeux et impérial, maître de la haute banque, Dieudonné Ferchaux (Charles Vanel). Simenon excelle à ce genre de confrontations, de rencontres qu’il rend aussi vraisemblables qu’elles sont improbables.
On juge assez vite la veulerie des caractères des deux personnages ; Maudet qui abandonne la pauvre gamine amoureuse de lui en lui mentant, Ferchaux qui commence à être rattrapé par une sale histoire survenue trente ans auparavant qui fuit mêmement ses deux petites esclaves, son frère, qui lui est attaché, ses affaires troubles. Deux types méprisables qui se trouvent et qui s’entendent parce qu’ils sont l’un et l’autre de la race des salauds.

Mais qu’on a l’impression que, à ce moment-là, Melville a peur de son sujet, recule devant la médiocrité de ses protagonistes, essaye de les valoriser, de faire ressentir pour eux de l’empathie, alors qu’il n’y a vraiment rien à tirer de leurs combines minables pour prendre le pas l’un sur l’autre ; et naturellement, c’est le vieux, plus fatigué, moins vigoureux qui cède la main et le plus jeune qui devient le mâle dominant.

Tout cela irait néanmoins encore bien si, au fur et à mesure que le film se déroule, plus il avance, plus il s’englue, alors qu’une des forces habituelles du réalisateur, c’est de mener fortement les crescendos… On demeure confiné dans une bourgade visqueuse des alentours de la Nouvelle-Orléans à attendre qu’il se passe quelque chose ; quelque chose qui arrive inéluctablement, sans nous surprendre, sans même nous intéresser.

Le film est donc curieusement déséquilibré entre les vingt cinq premières minutes, tendues, sèches, austères, tout à fait dans la manière du Melville et le reste, emphatique, pompeux, verbeux qui est exactement du Melville comme on peut ne pas l’aimer.

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