Le bal des casse-pieds

Comment peut-on rater ça ?

Il a fallu que le film me tombe sous les yeux cinq ou six fois en 25 ans pour que je réussisse à aller jusqu’à sa fin ; sans doute l’âge qui vient m’a rendu sinon plus indulgent, du moins plus apathique, plus capable de supporter avec constance un amoncellement de bêtises, quelquefois choquantes, à peine relevées ici et là par des comédiens qu’on aime bien et, tels des oasis en plein milieu d’un Sahara cinématographique, ici un mot drôle, là une situation cocasse, là encore une trouvaille qui permet de sourire.

Mais qu’est-ce qui a pris à Yves Robert, réalisateur estimable, auteur délicieux de quelques joyaux – par exemple la mise en images des souvenirs d’enfance de Marcel PagnolLa gloire de mon père et Le château de ma mère – et de ces deux trésors – Un éléphant, ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis – de tourner une sorte de remake modernisé du délicieux bijou (en toc, mais charmant) Les casse-pieds de Noël-Noël, suite de saynètes, de séquences, de sketches pleins d’esprit… ? Est-ce que c’est, précisément, l’idée de réunir l’équipe enchantée de ses films, le charmant scénariste et dialoguiste Jean-Loup Dabadie, le musicien Vladimir Cosma et les quatre principaux acteurs, Jean Rochefort au premier plan, entouré de Victor LanouxGuy BedosClaude Brasseur ?

Et de leur adjoindre d’autres acteurs formidables, de Jean Carmet à Jean-Pierre Bacri, d’Odette Laure à Miou-Miou … Mais aussi Hélène VincentValérie LemercierMichel PiccoliJean Yanne … Comment peut-on arriver à une telle catastrophe industrielle en mettant tellement d’atouts dans son jeu ?

Il s’agit, comme dans le film de Noël-Noël, de présenter, en une suite de vignettes, toutes les catégories de fâcheux, d’enquiquineurs, de raseurs, d’importuns, de types qui vous gâchent la vie, qui se croient tout permis, dont la vulgarité et la bêtise vous effarent, vous décontenancent, vous accablent, vous font perdre toute confiance dans la nature humaine. Riche terreau et infinie variété de situations, on en conviendra aisément.

Le film initial, qui date de 1948, était bénin, narquois, mesuré, bien élevé. Mais on voit combien la dégradation des moeurs et des pratiques sociales a été vaste en un petit demi-siècle et c’est peut-être là-dessus qu’Yves Robert aurait dû insister ; au lieu de quoi il tisse une histoire sentimentale aussi ridicule que niaise entre Rochefort et Miou-Miou pour faire avancer une histoire qui n’en avait aucun besoin. J’ai souvent pensé, en regardant Le bal des casse-pieds à l’adaptation (excellente) que Claude Confortes a tirée de la bande dessinée de ReiserVive les femmes.

Suite de vignettes sans queue ni tête mais où chaque sketch se suffit à lui-même. Il y a dans Le bal des casse-pieds quelques scènes vraiment drôles, mais Dabadie n’a pas la merveilleuse outrance grossière de Reiser et il n’ose que trop peu aller au bout d’une situation.

De ce fait on est souvent gêné par des scènes trop timides, mais trop graveleuses en même temps, pour n’être pas pesamment vulgaires. Ainsi les terrifiantes interventions de Michel Piccoli dans le rôle de Désiré, homosexuel assuré, dont les apparitions sont affligeantes et gênantes (son arrivée lors d’une soirée accompagné d’un travelo en fourrures et en perruque est une des scènes les plus ridicules qu’il m’ait été donné de voir, davantage encore parce qu’elle n’a ni justification, ni développement). Tout ce qui lorgne vers l’érotisme ou simplement la sexualité est d’ailleurs imbécile et choquant, sans raison et sans légèreté.

Noël-Noël avait surmonté la difficulté de donner du rythme à ce qui ne peut qu’être une suite de sketches (de portraits ou de caractères, comme les appelait notre vieux camarade La Bruyère) en se donnant le rôle d’un conférencier usant de multiples techniques pour présenter ses personnages insupportables : cela donnait du rythme et de la variété en multipliant les angles d’attaque ; rien de cela dans le film d’Yves Robert, dont certaines scènes sont vraiment gênantes de bêtise et tombent complètement à plat.

On le regrette, pour une équipe qu’on apprécie ; les naufrages sont toujours navrants, surtout lorsqu’ils touchent des esquifs qu’on aime bien.

 

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