Le sang des innocents

La machine à assassiner.

Le genre presque exclusivement italien du giallo – où un tueur sadique assassine convulsivement des femmes, la plupart jeunes et jolies, souvent dénudées au demeurant – me semblait à peu près confiné aux années qui vont de 1960 à 1980, en gros de La fille qui en savait trop (1963) de Mario Bava à Ténèbres (1982) de Dario Argento.  Bava et Argento sont d’ailleurs les deux maîtres incontestés du genre, même si la contribution d’Umberto Lenzi ne peut pas être négligée. Toujours est-il qu’il me semblait que ses beaux jours n’étaient plus qu’un souvenir très daté, d’autant que Dario Argento lui avait fait avec beaucoup de talent des infidélités considérables, s’évadant vers l’onirisme fantastique de Suspiria et d’Inferno.

Et voilà que me tombe sous la main, de la patte de ce réalisateur, ce giallo tardif (2001), qui reprend bien les codes et la dramaturgie sanglante que l’on attend d’un tel spectacle, mais me semble tout de même ne demeurer qu’une sorte de survivance, tant les chemins de l’horreur ont emprunté, depuis l’acmé du genre (peut-être La baie sanglante de Mario Bava en 1971), de nouvelles et épouvantables orientations.

Car, sauf à se résoudre de retrouver des péripéties presque élimées, terriblement attendues et tout autant prévisibles (on sait depuis longtemps désormais que l’individu seul qui erre à la nuit ou dans l’obscurité propice d’une vieille demeure va se voir subitement zigouillé avec une sauvagerie propre à vous clouer sur votre siège), sauf à imaginer qu’on puisse renouveler les recettes, certes éprouvées, certes efficaces des traumas et des sauvageries de l’enfance ou de l’adolescence, des frustrations et des névroses, des désirs et des perversités que la pauvre humanité peut ressentir, sauf à n’avoir rien vu ou avoir tout oublié, on n’est plus guère surpris par la succession des crimes.

Reconnaissons toutefois au Sang des innocents quelques idées fort originales et des images assez spectaculaires, notamment celles d’un des fort nombreux meurtres, celui où, sous les yeux de son fils terrorisé une femme est tuée à coup de cor anglais qui lui ravage le gosier ; horrible et peu banal, mais les autres assassinats sont beaucoup moins imaginatifs, très traditionnels en quelque sorte (sauf celui avec un stylo en or massif) . Donnons aussi un bon point à l’idée du fil conducteur sacrificiel : une comptine cruelle composée par un nain auteur de textes d’épouvante et alors soupçonné d’être un tueur compulsif.

Cela dit et comme souvent chez Argento, l’intérêt n’est pas dans la qualité du récit, mais l’atmosphère démoniaque qui l’entoure. En premier lieu les couleurs, violemment contrastées, à dominante violettes, vertes, pourpres, couleurs qui introduisent le spectateur dans une étrangeté souvent cauchemardesque. Puis un usage approprié des mouvements de caméra, particulièrement sensible dans la scène du début où une pauvre fille prostituée qui n’a eu que le malheur de tomber en possession d’une pochette maléfique où le tueur collationne les coupures de presse de ses exploits mais livre aussi son identité est poursuivie dans les couloirs déserts d’un train lancé dans la campagne piémontaise. Au fait, d’ailleurs, le caractère fermé, austère et monumental de Turin, où se situe l’intrigue est particulièrement bien choisi. Et puis les pénombres, bruits bizarres, angles torturés, impasses angoissantes sont bienvenus.

Mais ce n’est pourtant pas suffisant ; les acteurs sont assez insignifiants, bien que les filles soient jolies. La présence de Max von Sydow en policier retraité mais toujours alerte, n’apporte absolument rien au film et puis quoique j’en aie dit plus haut, on est tellement déçu, lors des pseudo-révélations finales d’avoir compris dès le premier tiers du film qui était le meurtrier qu’on s’en agace.

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