Le veuf

Douceurs de l’hyménée.

Le veuf, c’est une farce, une véritable farce, avec des excès, des outrances, des trucs et des truquages, mais c’est une farce si méchante, si cruelle, tellement cynique qu’on voit bien poindre déjà ce qui, dans les années suivantes, seront les chefs-d’œuvre de ce genre original, novateur de la comédie à l’italienne. C’est caustique, vif, enlevé, rythmé. Surtout, à bien y réfléchir, il n’y a pas dans le film un seul personnage vraiment positif : tous sont avides, méprisables, minables, d’un égoïsme entier, suffisants, sans scrupules. Il y en a de pires que d’autres, plus arrogants, plus orgueilleux, plus insupportables, mais aucun ne vaut grand chose.

Le scénario est simple, clair, lumineux : le Commendatore Alberto Nardi (Alberto Sordi), mégalomane un peu minable, à la tête d’une médiocre entreprise de construction d’ascenseurs est marié avec une richissime femme d’affaires, Elvira Almiraghi (Franca Valéri, épatante), qui le tient en lisière et le méprise mais ne peut, pour des raisons religieuses mais aussi sociales, envisager la séparation (le divorce ne sera d’ailleurs autorisé en Italie qu’en 1974, je crois). Il y a longtemps, d’ailleurs, semble-t-il que les relations entre les époux se sont interrompues : sans que la chose soit explicite entre eux, Madame a un jeune amant, Monsieur une jeune maîtresse, Gioia (Leonora Ruffo) et presque une deuxième famille qui vit à ses maigres crochets sous la houlette de Mamma Italia (Nanda Primavera).

Deux mondes à part : celui d’une bourgeoisie opulente et sans scrupules, incarnée par le requin de finances Carlo Fenoglio (Ruggero Marchi) et tout un monde de viveurs, où Alberto est méprisé ou tenu pour quantité négligeable, d’autant que sa femme l’y nomme publiquement bécasson (cretinetti) ; ainsi Fenoglio ne l’appelle pas Nardi, mais Almiraghi, qui est le nom de sa femme.

Mais Alberto, de son côté, vit aussi dans un monde particulier : au milieu des ouvriers de sa modeste entreprise (des ascenseurs qui, au demeurant, tombent toujours en panne) qui grognent parce qu’ils ne sont pas payés mais ne demandent pas mieux, pourtant, en braves gens qu’ils sont, de faire confiance au Commendatore. Avec son usurier favori Lambertoni (Mario Passante). Et davantage avec son petit état-major : l’ingénieur allemand Fitzmayer, qui a jadis été compromis pour des histoires avec de trop jeunes filles, l’oncle (Nando Bruno) qui a prêté naguère à son neveu une belle somme et veut rentrer dans ses frais et le marchese Stucchi (Livio Lorenzon), qui fut le capitaine d’Alberto pendant la guerre et survit difficilement, aristocrate décavé qui présente bien.

Il serait tellement commode qu’Elvira disparaisse accidentellement et laisse en Alberto un veuf inconsolable, mais sans plus de problèmes de fins de mois. Et on croit un instant que la chose va se réaliser, un wagon de chemin de fer ayant basculé dans un lac par trente mètres de fond. Désolation, larmes, commisération de tout l’entourage… et surgissement d’affairistes attirés par la fortune subitement tombée entre les doigts du bécasson. Mais fausse joie ! Car Elvira n’est pas morte et surgit au milieu des fastes de la chambre mortuaire (on peut même évoquer avec son image nocturne qui apparaît derrière Alberto l’ombre des films de Mario Bava !).

Le film s’infléchit alors un peu trop dans le sens de la farce, ce qu’on peut regretter tant l’observation entomologique du dynamisme et des failles du miracle italien était réussie et sarcastique. Le veuf se dirige alors un peu trop vers une comédie noire qui n’a rien de déplaisant, mais dont la chute (hihi !) est un peu trop convenue et prévisible pour être absolument convaincante.

Si Alberto Sordi est peut-être un peu trop livré à lui-même (le film, manifestement, a été tourné autour de lui), le reste de la distribution est tout à fait impeccable, avec une mention spéciale pour Franca Valeri, que j’ai découverte, il y a quelques années, dans Le signe de Vénus du même Dino Risi : elle est dans Le veuf tour à tour méprisante, odieuse, lassée… Et même méchante comme le dit Risi dans le supplément du DVD. La chose est rare.

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