Les fantômes du chapelier

Concarneau’s killer

Quand Claude Chabrol se fichait du monde, ce qui lui arrivait trop souvent (au moins pour une bonne moitié de ses films) il en arrivait à descendre dans la désinvolture, le je m’en fichisme et l’insipidité au niveau d’un des pires Mocky en pondant, sur une intrigue en or un vague machin mou, déstructuré et souvent ridicule, comme ces Fantômes du chapelier.

Pour une fois que Georges Simenon avait écrit un roman sanguinolent, qu’on pouvait adapter de façon assez linéaire – en s’ancrant toutefois dans la réalité humaine de l’écrivain – c’est-à-dire où on n’avait pas même besoin de le trahir ou le transgresser pour produire une œuvre angoissante et charpentée, voilà que le cinéaste, laissant complètement la bride sur le cou à un Michel Serrault (qu’il faut pourtant, comme un paquet de grands acteurs – voir Fernandel ou Raimu – surveiller comme le lait sur le feu) réalise un film outrancier, ridicule et même niais. On n’arrive pas une seconde à croire au personnage de Léon Labbé (Serrault, donc) qui, dans une crise d’exaspération a tué sa femme (Monique Chaumette) insupportable, impotente et geignarde, a dissimulé son crime en laissant croire à tous qu’elle vit encore et a entrepris de se débarrasser graduellement des amies de pension d’icelle pour que, alors qu’elles sont censées se réunir, elles n’en découvrent pas la disparition.

On devine bien entendu que, vivant aux côtés d’un mannequin inanimé à qui il adresse de grands discours vindicatifs et auprès de qui il couche chaque soir, le respectable chapelier Léon Labbé est, au fond, un fou dangereux, guère différent du Norman Bates de Psychose.

Et ceci quoiqu’il présente toutes les apparences de la respectabilité bourgeoise, lorsqu’il bridge, chaque soir avec ses amis de Concarneau, notables rassis, sénateur, médecin, percepteur dans l’opulent café bourgeois où un commissaire de police idiot (Mario David) fait parallèlement sa partie de billard et où un journaliste nigaud (François Cluzet) tente d’achever un article décisif sur la résolution de l’énigme criminelle. (On sait bien, d’ailleurs, que pour Chabrol, lui-même issu d’une excellente famille, le crime majeur et inexpiable est de faire partie de la classe honnie ; admirable indépendance d’esprit et courage à faire pleurer d’émotion).

Au fait, il se trouve qu’un petit tailleur arménien, Kachoudas (Charles Aznavour) nanti d’une nombreuse famille, habite juste en face du chapelier et a perçu le manège de Labbé avec son mannequin de femme et mêmement l’identité du tueur ; fasciné, il le suit dans tous ses déplacements, incapable de le dénoncer.

Sur ces prémisses glauques, on peut assurément réaliser un film malfaisant, pesant, étouffant : ce n’est pas du tout ce que l’on ressent en regardant le manège théâtralisé des protagonistes, Serrault lâché, comme dit plus haut sans aucun garde-fou, Aznavour livré à lui-même et dont l’intervention paraît comme rattachée artificiellement au récit. C’est paresseusement tourné, sans cohérence, avec des scènes qui semblent n’être reliées les unes aux autres que par des fils de plus en plus ténus. On en viendrait presque à dire que ce n’est plus alors qu’une suite de sketchs indépendants les uns des autres.

Ce qui devrait apparaître, c’est que Labbé a toujours eu en lui le goût du sang ou qu’il en a trouvé la découverte enivrante et que, une fois éliminées les amies de sa femme, alors que plus rien ne le menace, il continue à tuer, mis en quelque sorte en appétit ; cette sorte de fatalité déterministe est gommée par des sortes de séquences bouffonnes où sont assassinées successivement Louise, la petite bonne du chapelier (Christine Paolini) puis, bouquet final, Berthe (Aurore Clément), la femme galante de la bourgade…

Fait de bric et de broc, cousu à la va-vite et n’importe comment, le film laisse une bien médiocre impression…

 

Leave a Reply