Les Misérables (Hossein)

Discours des misères du temps.

Robert Hossein mort (comme beaucoup de people cette année, ne trouvez-vous pas ?), quel hommage la télévision allait-elle lui rendre ? Comme acteur, il y avait pléthore, mais on ne voulait sans doute pas rediffuser pour la soixantième fois Angélique marquise des anges, qui est pourtant un bien bon film. Il fallait rendre un hommage déférent au metteur en scène qui, pourtant, a davantage brillé dans les grosses machines scéniques que dans la mise en scène appréciée par la doxa et Télérama ; au cinéma, il n’y avait pas surabondance de films à présenter : d’ailleurs les meilleures réalisations de Hossein qui sont sans doute Toi le venin en 1959 et Le vampire de Düsseldorf en 1965 sont en Noir et Blanc, ce qui suffit à les disqualifier pour un prime-time populaire. On choisit donc la recette éprouvée et culturellement gratifiante de présenter la énième version des inusables Misérables. On se sent d’ailleurs gratifié par l’effort accompli par France-Télévisions d’ouvrir le populo à une grande œuvre révérée par tous.

Eh oui, Les Misérables, sorte de fouillis génial et atrocement mal composé, c’est inusable et ça le demeurera encore quelques décennies jusqu’à ce qu’on ne sache plus lire. Wikipédia recense 22 adaptations à l’heure actuelle (23 en comptant le film de Ladj Ly qui n’a qu’un rapport très diffus). Beaucoup s’engagent à donner la version de Raymond Bernard de 1934 comme la meilleure avec, dans les trois rôles principaux de Valjean, Javert et Thénardier, les ombres révérées de Harry BaurCharles Vanel et Charles Dullin. D’autres – dont je suis – penchent plutôt pour la version de Jean-Paul Le Chanois de 1958 avec, parallèlement, Jean Gabin,Bernard Blier et Bourvil. De toute façon, pour tenir ces rôles majuscules, il faut évidemment une certaine vigueur.

Robert Hossein choisit plutôt bien ses comédiens. Lino Ventura est certainement le seul acteur français des derniers trois quarts de siècle à avoir la nature assez forte pour être comparé à Baur et à Gabin. Et de la même façon Michel Bouquet ne dépare pas ses prédécesseurs, pas davantage que Jean Carmet. Assurément, distribution impeccable.

Je n’en dirai pas autant pour l’adaptation scénaristique. Dans le grand massif du roman, même si on choisit de faire long, il faut sabrer, couper, rétrécir. Raymond Bernard, en trois films, atteint les 4h25 ; Jean-Paul Le Chanois, en deux époques les 4h. Robert Hossein concentre tout en 3h40 dans un seul métrage. Pourquoi pas ? Mais son adaptateur, (Alain Decaux, pourtant) choisit de diluer l’intrigue et de ne pas négliger la longue partie – bien trop longue, dans le roman – où Valjean et Cosette sont réfugiées chez les religieuses de Picpus, puis d’exalter la poussée de fièvre révolutionnaire. Bien plus intelligemment René Barjavel, adaptateur pour Le Chanois avait privilégié le meilleur du roman, c’est-à-dire son début.

Qui plus est, la version de Hossein est filmée de façon ridicule, pitoyable. Non pas seulement en raison des continuelles ellipses agaçantes (nécessaires, évidemment, mais mal fichues), mais pour des naïvetés risibles. Par exemple les images violemment coloriées de la rencontre amoureuse de Cosette (Christiane Jean) et de Marius (Frank David) qui paraissent décalquées des cartes postales qu’on trouvait naguère sur les présentoirs des bistrots de village ou la crasse savamment appliquée sur les murs de la masure des Thénardier.

C’est manifestement trop élaboré, trop décoratif pour qu’on y adhère, c’est tout aussi manifestement la résurgence des décors de théâtre : Hossein n’a sans doute jamais compris (et en tout cas de moins en moins au fur et à mesure qu’il remportait de grands succès sur de grosses scènes) que le cinéma est un art plus léger que le théâtre où tous les effets doivent être exagérés pour être perçus par la totalité des spectateurs, qu’ils soient aux fauteuils d’orchestre ou au troisième balcon…

C’est donc mauvais, très mauvais, très long et très ennuyeux. On reverra avec intérêt la série des Angélique.

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