Les noces rouges

Désert sans solitude.

La prolifique carrière de Claude Chabrol, qui s’étend sur plus de cinquante ans, du Beau Serge à Bellamy, est loin de n’offrir que des pépites ; il y a une sorte d’état de grâce dans les deux années 69 et 70, avec La femme infidèleQue la bête meure et Le boucher ; et des îlots qui surnagent ici et là, Violette Nozière (1978), L’enfer (1994), voire (et encore !) Merci pour le chocolat (2000). Mais aussi un océan de films tournés à la va-vite, souvent redondants, nourris des perpétuelles obsessions antibourgeoises de celui qui était pourtant fils de pharmacien et qui tourna ses premiers films avec l’argent que sa femme de l’époque avait reçu de son père, haut fonctionnaire et banquier. Familles, je vous hais ! beuglait déjà André Gide, né avec une cuiller d’argent dans la bouche, dans Les nourritures terrestres. N’empêche que vous êtes bien pratiques pour assurer le pain quotidien et beaucoup davantage.

Les noces rouges ont été filmées en 1973 et sentent fort les prospères années Pompidou. Paul Delamare (Claude Piéplu), le mari dupé, cynique et assassiné est député de l’Indre et on devine que, selon le code chabrolien, il ne peut que tremper jusqu’au cou dans toutes les magouilles immobilières d’une époque qui en fut, il est vrai, friande et cousue. Comme c’est un notable, il est forcément, structurellement une canaille et, identiquement un coupable. Qu’il soit également victime n’appelle, au demeurant, aucune sympathie du spectateur pour lui. On n’ose pas vraiment dire qu’il n’a que ce qu’il mérite, mais on n’en est vraiment pas loin du tout.

Il est vrai qu’on chercherait en vain un individu sympathique dans le film ; il est vrai aussi qu’il n’y en n’a pas beaucoup, toute l’action se focalisant autour des trois personnages du mari, de la femme et de l’amant. La femme de l’amant, Clotilde Maury (la diaphane Clotilde Joano) est envoyée ad patres par son époux en deux temps trois mouvements, d’autant qu’elle n’était déjà pas bien vaillante. Hélène (Eliana de Santis), la fille naturelle de la femme, joue un rôle trouble dans la résolution de l’intrigue, mais sa silhouette demeure très incertaine, peu creusée.

Restent donc, aux côtés du député-maire Delamare, l’évidence de la femme et de l’amant. On sait d’elle, Lucienne (Stéphane Audran), qu’elle a eu une vie antérieure un peu tonitruante, dont elle a rapporté, donc, sa fille Hélène, qui entretient des rapports assez distants avec son beau-père et qu’elle accomplit avec une certaine conscience professionnelle résignée, les tâches dévolues en province à l’épouse de toute personnalité en vue : bonnes manières, élégance discrète et participation à la kyrielle de bonnes œuvres, manifestations, kermesses, fêtes d’école, goûters du Troisième âge et célébration de la Centenaire de la maison de retraite. On ne sait rien de lui, Pierre Maury (Michel Piccoli, alors au faîte de sa célébrité au zénith du cinéma français) ; un notable qui a des idées de gauche (ça n’étonne personne, venant de Piccoli) et qui est affligé d’une épouse maladive, dolente, fragile.

Hop ! Entre le mâle dominant et la femme frustrée survient une passion sensuelle à peu près bien filmée par Chabrol – mais, à dire le vrai, la chose ne fait pas partie des raretés et difficultés cinématographiques – dont on voit bien les limites et le propos. La fascination charnelle mutuelle, le tremblement érotique qui conduit les amants à se réunir partout, à la campagne, au bord de la rivière, dans un lit du château historique de la bourgade, dans la maison de l’amant, au risque que les tôt-éveillées de la bourgade surprennent, derrière leurs rideaux, la femme infidèle regagner subrepticement le domicile conjugal, tout cela va à peu près bien.

Mais quels lourds sabots, crottés d’encore plus lourde glaise, Chabrol emploie-t-il pour nous présenter une histoire paraît-il inspirée d’une affaire réelle !! Les dialogues aussi bien que les scènes sonnent aussi faux que possible et malgré des acteurs de qualité désarticulent le film, qui s’étale dans la pire banalité. On a compris bien vite que les amants diaboliques assassins ne l’emporteront pas en paradis. Quoi ? Pas de bonheur dans le crime (Barbey d’Aurevilly dans Les Diaboliques) ? C’est bien décevant.

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