L’homme qui tua Liberty Valance

Je suis une légende.

De temps en temps, je me sens coupable de ne pas beaucoup m’intéresser à des genres significatifs de la cinématographie mondiale ou à des réalisateurs nimbés de prestige ; c’est ainsi que mon ignorance sur le film de kung-fu est absolue (je n’ai jamais vu un film de Bruce Lee), que je n’ai aucun souvenir des trois ou quatre films luthériens d’Ingmar Bergman que mon adolescence influençable a consenti à regarder et que le western, pourtant largement absorbé entre mes 7 et mes 12 ans me demeure une terre presque inconnue. Surtout, il est vrai, depuis que Sergio Leone et Sam Peckinpah m’ont paru dynamiter et ringardiser toutes ces histoires simplistes de l’Ouest étasunien dont je m’étais satisfait, comme je me satisfaisais, gamin, de Bibi Fricotin.

L’autre soir, où j’avais donc l’humeur chagrine et repentante, passait sur je ne sais plus quelle chaîne, L’homme qui tua Liberty Valance ; j’ai plutôt de la sympathie pour John Ford et pour La prisonnière du désert ; je vois en John Wayne l’archétype du héros de western et je n’ai aucune aversion pour James Stewart, qui me semblait plutôt confiné chez ce faiseur d’Hitchcock ; j’ajoute, pour la bonne bouche que les opinions politiques réactionnaires de ces acteurs n’ont rien pour m’effrayer, bien au contraire. Et que, donc, j’étais plutôt bien disposé à ajouter ce film dans ma courte liste des westerns intéressants.

Mais – première déception ! – où sont les Peaux-Rouges ? Où sont les Confédérés ? Où est la Cavalerie ? Ces trois éléments, diversement mixés, me semblent totalement indispensables à un genre aussi historiquement limité qu’est le western  ; et même si je puis supporter l’absence de couleur, je m’interroge vite : où sont les cavalcades ? Où sont les paysages ? (un western sans Monument valley, c’est comme Paris sans la Seine, n’est-ce pas ?). Qu’est-ce que c’est que ce truc tourné manifestement en studio, sans grands espaces, sans désert, ni grande prairie, sans bisons et sans wigwams ?

On m’objectera, avec quelque apparence de raison que le film tourne autour du remplacement de la loi brutale, efficace et sanglante du vieil Ouest par un état de droit policé et démocratique. De cette manière, l’effacement des sempiternelles bagarres, tueries, pistolétades devant l’exigence juridique est précisément le ressort de L’homme qui tua Liberty Valance et le nœud du propos de John Ford ; et que, de ce fait, la substitution comme personnage héroïque de Ransom Stoddard (James Stewart), juriste pacifique à Tom Doniphon (John Wayne) fût-ce au prix d’un subterfuge qui créera la légende est, explicitement, le sens de l’Histoire.

Certes. Nous avons compris. Mais pour arriver à cet acte de foi démocratique, qu’est-ce que le spectateur a dû subir ! Link Appleyard, shérif alcoolique et pitoyable (Andy Devine), Peabody, journaliste censé être un courageux défenseur de la liberté de presse (Edmond O’Brien) et surtout Liberty Valance (Lee Marvin, qu’on reconnaît à peine tant il joue mal), qui, sur ces rudes terres du Colorado, paraît à peine capable de faire du mal à une mouche (et dont on comprend d’autant moins qu’à la fin, il montre les dents et soit abattu en duel) et semble beaucoup moins cruel que les voyous de légende dont les écrans sont remplis. Ajoutons les enfantillages de la désignation des représentants à la Convention de l’État – mais d’après ce qu’on en lit les choses ne semblent pas tellement avoir changé aux États-Unis d’Amérique.

Qu’est-ce qui peut sauver un film verbeux, ennuyeux, souvent ridicule, comportant très peu de scènes d’action et dégoulinant d’optimisme libéral ? Peut-être précisément les dernières images, celle de la constitution du mythe. Pour tous, c’est bien Stoddard (Stewart) qui a abattu Valance (Marvin) , alors qu’on voit dans une scène plus élargie, que c’est en fait Doniphon (Wayne) qui a tiré juste. Mais pour l’histoire, pour la légende, la vérité ne doit pas être mise en avant : les peuples ont besoin de mythes fondateurs. C’est très bien ainsi.

Mais pour se faire confirmer cette évidence que notre vieille Europe a intégrée depuis des siècles, que de temps perdu à en remontrer l’évidence !

 

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