L’insoumis

Triste soldat perdu…

L’aventure suicidaire et désespérée des combattants perdus et fous de l’OAS n’a pas tenté grand monde au cinéma : à part une courte séquence dans Le feu follet où Alain Leroy (Maurice Ronet) bavarde quelques instants, au Café de Flore avec les frères Minville (Romain Bouteille et François Gragnon), je ne connais guère que Le combat dans l’île avec Jean-Louis Trintignant réalisé par Alain Cavalier, comme cet Insoumis que je viens de revoir.

C’est drôle, parce que si les combats en Algérie ont été filmés, sans grande abondance mais quelquefois avec talent (La bataille d’AlgerLes Centurions, Avoir 20 ans dans les Aurès), il n’y a donc que très peu sur la période de l’écroulement de la présence française et la rage sanguinaire des derniers moments ; avec Le coup de sirocco d’Alexandre Arcady, intelligent, sensible et même poignant, on est déjà loin, on est déjà parti, on a changé de vie et de continent.

L’insoumis commence pourtant un peu comme tous les récits de combat ; on est en 1959, autour d’un ravin tragique et desséché de Kabylie et le légionnaire Thomas Vassenroot (Alain Delon) désobéit au lieutenant Fraser (Georges Géret) pour aller rechercher, au creux du ravin, un camarade blessé. Courage, agilité, indiscipline… le personnage est campé. On pourrait ajouter à ces qualificatifs celui d‘inutilité : car lorsqu’il parvient, sous les balles fusantes à rejoindre son camarade, il constate qu’il vient de mourir.

Ellipse ; on est désormais fin avril 1961, à Alger, après le putsch raté et un peu ridicule du quarteron de généraux à la retraite qui a manqué son coup contre le général de Gaulle. Comme nombre d’officiers et soldats du 1er Régiment étranger de parachutistes, Thomas a déserté et se cache dans une ville toute ouverte aux soldats perdus parce que beaucoup croient encore qu’on peut encore changer le Destin. Thomas, pourtant, n’est pas de ceux qui veulent aller jusqu’au bout : il n’aspire qu’à retourner chez lui, au Luxembourg, retrouver sa mère, sa petite fille et élever des abeilles. Mais il accepte contre une forte somme d’aider, pour une dernière fois, le Lieutenant Fraser et, avec un Pied-Noir hâbleur et déterminé, Amerio (Robert Castel) de séquestrer une avocate lyonnaise, Dominique Servet (Léa Massari), venue plaider pour deux fellaghas.

Au fait, jusque là, on est à fond dans une transposition romancée de la véritable histoire : le lieutenant Fraser, c’est Roger Degueldre, le fondateur des Commandos Delta, le Pied-Noir Amerio, c’est Claude Piegts et Thomas, c’est Albert Dovecar (qui était, lui, d’origine croate) ; ces trois-là seront avec le colonel Bastien-Thiry (l’attentat du Petit Clamart en août 1962), les seuls fusillés de l’OAS ; on n’imagine pas qu’Alain Cavalier et son dialoguiste, Jean Cau (ancien secrétaire de Jean-Paul Sartre, passé ensuite à la Droite extrême) n’aient pas songé à ceux-là.

Jusque là, le film est d’une sécheresse impeccable ; il va continuer un peu sur ce rythme après que Thomas aura délivré l’avocate Dominique – on peut penser que c’est pour gagner un peu davantage d’argent – mais va commencer à s’engluer à la naissance de la relation amoureuse entre les deux personnages. Ça n’empêchera pas quelques épisodes haletants fort bien filmés lors de la dérive déterminée du couple entre Lyon et le Luxembourg, mais une ratatouille sentimentalo-sensuelle vient se mélanger, de manière peu opportune et mal justifiée à la course pour la survie de Thomas, salement blessé au ventre et sans doute fichu. La dernière image, le hurlement de bête de Dominique, certaine que son amant va mourir, est d’une grande facilité bête.

C’est très regrettable. Le film a beaucoup de qualités tant qu’il se tient focalisé sur la solitude égocentrique de Thomas ; il baisse de ton dès qu’il quitte ces rivages et ne reprend plus pied.

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