M le maudit

Un homme marche dans la ville.

Le premier film parlant de Fritz Lang commence, de fait, à toute allure et introduit d’emblée le spectateur dans le récit : des enfants qui, dans la cour d’un immeuble ouvrier, chantent une comptine affreuse. Le méchant tueur vient à son heure, il fera de toi un hachis !. Rien de plus délicat pour l’enfant ainsi sorti de la ronde. On sent rôder l’inquiétude des mamans. Puis un gros plan sur une affiche : 10.000 marks sont offerts à celui qui donnera un renseignement sur le tueur qui sévit en ville et qui a déjà assassiné plusieurs petites filles. La maman qui se ronge les sangs en sentant passer les minutes et ne voit pas son enfant revenir déjeuner ne supporte plus l’attente.

On sait qu’elle a bien raison parce que, se profilant sur l’affiche, on a vu un passant, qui siffle Dans le palais du roi de la montagne, (extrait du Peer Gynt d’Edvard Grieg) proposer à la petite Elsie Berckmann (Inge Landgut) un ballon de baudruche et l’entraîner dans un terrain vague. La mère d’Elsie (Ellen Widmann) est passée de l’inquiétude à l’angoisse puis à la terreur. La baudruche envolée s’est prise dans des fils électriques, le ballon d’Elsie roule hors d’un buisson. Voilà. Tout est dit.

Elsie a été la huitième victime du tueur. Rien d’étonnant que la psychose s’empare des habitants de Berlin, que les soupçons pleuvent dès qu’on voit un adulte parler à un enfant, que les autorités s’exaspèrent devant l’incapacité de la police à mettre la main sur le criminel. Police qui multiplie les arrestations et les rafles dans les milieux interlopes ce qui, à la longue, dérange notablement le petit commerce de la truanderie. Un outsider nous gâche les affaires ! s’exclame Schränker (Gustaf Gründgens), le patron de la pègre locale. D’où la décision de mettre la main sur l’empêcheur des voyouteries habituelles et de mobiliser le réseau des mendiants pour pister le tueur.

Toute la partie qui voit les efforts parallèles de la police et du milieu pour pister Hans Beckert (Peter Lorre), M le maudit dont on ne saura finalement rien, ni d’où il vient, ni de quoi il vit, me semble un peu faible, mettant un peu trop facilement en opposition les méthodes employées par les deux groupes de chasseurs qui finissent par aboutir à sa découverte puis à sa capture par les malfrats. Cela dit, il faut dire néanmoins beaucoup de bien de la façon de filmer de Fritz Lang qui saisit dans un jeu de plongées et de diagonales spectaculaires toute l’émoi de la traque dans la froideur austère des rues.

Et le film retrouve vraiment le souffle glaçant de ses débuts lorsque Hans Beckert/M est jeté devant le tribunal populaire de la pègre réunie qui hurle à la mort. Images très impressionnantes de cette vaste cave voûtée et des visages hostiles qui l’accueillent. Puis les questions, qui rendent un son étonnamment moderne alors que le film date de 1931. M exige qu’on le remette à la police, beugle que la pègre n’a pas le droit de le juger, moins encore de le condamner à la mort que tous réclament. Te remettre à la justice pour qu’on te considère irresponsable, qu’on te cajole dans une maison de santé ! Et tu t’échapperas ou il y aura une amnistie et tu zigouilleras encore des fillettes ! Non, on va te mettre hors d’état de nuire !. Et après le plaidoyer humaniste d’un truand qui a été institué avocat d’office et défend l’assassin avec un réel courage, c’est le criminel lui-même qui râle : Je porte en moi cette malédiction, cette brûlure, ce supplice… Et je cours entouré des fantômes des mères, des enfants…

Ah, certes, vaste débat, que Lang ne tranche pas puisque la police, opportunément survenue juste avant le lynchage remet Hans Beckert à une Cour d’assises dont on ne sait quel verdict elle prononcera puisque le cinéaste conclu sur la seule image des magistrats. Et cela même si on peut rappeler que Peter Kürten, le véritable Vampire de Düsseldorf qui a inspiré le personnage de M, fut condamné à mort et guillotiné en juillet 1931 après 9 assassinats. Et sa dernière phrase sur l’échafaud fut, paraît-il Dites-moi, quand ma tête aura été coupée, pourrai-je toujours entendre, au moins un instant, le bruit de mon sang jaillissant de mon cou ? Ce serait le dernier des plaisirs. Oui, certes, folie, monstruosité, anomalie psychiatrique… qui peut en douter ? N’empêche que qu’est-ce qu’on fait, aujourd’hui où on ne guillotine plus ? Réclusion à vie, dans une réelle perpétuité ? Ou libération accompagnée d’une castration chimique autoritaire, qui est une vraie mutilation ? Tout le monde n’a pas le triste courage de l’adjudant-chef Pierre Chanal, le tueur de Mourmelon, qui s’est suicidé au moment où s’ouvrait son procès…

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