Miracle en Alabama

Les barricades mystérieuses.

Un sujet en or, une histoire en or. Une petite fille murée en elle-même, aveugle et sourde, que sa famille, aisée mais impuissante, aimante mais résignée abandonne peu à peu à sa nuit noire. Une institutrice issue d’une famille d’immigrés irlandais misérables, orpheline de mère à 8 ans, affligée d’un frère lourdement handicapé, elle-même mal voyante, guère douée pour la tendresse mais tendue par l’orgueil de réussir qui va s’atteler à une tâche impossible. Sujet en or, propre à émouvoir le cœur le plus sec.

D’autant que l’histoire, sans tout de même se terminer en conte de fée deviendra plus tard magnifique. Car Helen Keller a réellement existé et, après qu’Annie Sullivan aura réussi à lui faire comprendre le lien entre les mots et les choses, apprendra à lire, à parler, à s’instruire ; elle est devenue diplômée d’enseignement supérieur, a écrit des livres, a milité pour la paix et la cause féminine jusqu’à sa mort en 1968. Un exemple total, lumineux, qui met à mal toutes les fariboles eugénistes.

Miracle en Alabama aborde seulement les premières années de la relation entre Helen et Annie, celles de l’apparent impossible apprentissage d’une petite fille qui ne sait que hurler, se heurter à tout, se conduire comme un animal dans une famille qui ne sait comment agir avec elle. Helen a 6 ans lorsque Annie la Yankee arrive en Alabama. Alabama plongé tout entier dans la nostalgie du Sud et dans la tristesse de la défaite des Confédérés.

Le film est issu d’une pièce de théâtre, mise en scène déjà par Arthur Penn, puis adaptée pour la télévision et enfin filmée par le réalisateur. Cela se sent à peine, parce que le sujet permet de confiner le propos à des scènes fortes entre des protagonistes peu nombreux : Helen et Annie, les parents d’Helen et son frère aîné. Mais Arthur Penn a le talent de cinématographier ce qui pourrait n’être qu’un huis-clos violent. Ainsi, dans les séquences initiales, la sensation d’enfermement d’Helen, donnée par une absence de son sur les images désespérantes de l’emmurement, ainsi les quelques flashbacks où la triste condition d’Annie, seule, pauvre, presque infirme expliquent parfaitement sa détermination et sa clairvoyance.

Et puis, qualité majeure, la distance : il aurait été évidemment facile de tirer l’histoire vers le pathétique, le larmoyant et – finalement – l’obscène : la contemplation voyeuriste d’une situation insupportable. Le parti de l’auteur et du réalisateur est d’inclure le spectateur dans la réalité : d’où des scènes échevelées qui pourraient, à certains instants, passer presque pour de la comédie : on a l’impression qu’Annie veut simplement prendre le pas sur une sale gosse et on oublie ce qu’est Helen : pas de sentimentalisme, pas de pleurnicheries.

Dans ce genre de films, à personnages restreints, la distribution est primordiale. Si Anne Bancroft a bien mérité l‘Oscar du premier rôle obtenu en 1963, j’ai été encore davantage bluffé par la performance artistique de Patty Duke qui interprète Helen, sans autre mot que des grognements de haine au tout début et la merveilleuse découverte que les cinq lettres W-A-T-E-R qu’elle formait de ses doigts jusque là sans rien comprendre à leur sens désignent l’eau et qu’elle a rejoint désormais la compagnie des hommes.

Leave a Reply