Nogent, Eldorado du dimanche

Les reflets dorés de la Marne

Le premier film, le court-métrage longtemps disparu de Marcel Carné, quinze minutes muettes mais aujourd’hui sonorisées, est désormais visible. Il est inclus, en bonus dans le DVD du dernier ouvrage du cinéaste, La Bible. Un ouvrage qu’il n’est d’ailleurs pas si aisé d’intituler film puisqu’il ambitionne de conter le Livre saint au travers des mosaïques de la basilique de Montréale, en Sicile. En tout cas, il est assez amusant, et bienvenu, d’avoir juxtaposé les deux œuvres, la première et la dernière de Marcel Carné, la première légère et hédoniste, la dernière grave et harmonieuse…

La banlieue n’a pas toujours été aux yeux des Parisiens, l‘abomination de la désolation qu’elle est devenue depuis soixante ans, au gré de la construction de cités agressives qui se sont constituées en principautés de la drogue et de la délinquance ou – dans un autre registre, mais tout aussi isolé – en citadelles bourgeoises de l’entre-soi. La banlieue, jadis, c’était un peu l’aventure à deux pas de la Capitale et personne ne l’a mieux chantée que la grande Damia sur des paroles de Michel Vaucaire :

Aux quatre coins d’ la banlieue de Paris
L’ dimanche, on entend d’ la musique
C’est à celui qui fera le plus d’ bruit
Phono ou piano mécanique
On danse et on boit
On n’a que ce jour-là
Et quand on s’amuse, une journée
C’est si vite passé !
Aux quatre coins d’ la banlieue de Paris
L’ dimanche, on oublie ses ennuis

Le beau titre de Nogent, Eldorado du dimanche dit à peu près tout sur les quinze minutes très magiques, vigoureuses, montées avec un sens très sûr de l’ellipse et du bonheur de vivre. On part de la Bastille, dont le Génie veille sur les trains de plaisir qui conduisent aux bords de la Marne, ensoleillée et tendre, vive quand il le faut, mais qui sait se faire endormeuse lorsque le déjeuner a été bien arrosé.

On est endimanché et même un petit peu guindé, parce que le costume neuf, parce que la cravate, parce que les talons hauts et les chapeaux-cloche mais on ne raterait pas ça pour un empire. Est-ce qu’on est si loin, en 1929, des beaux dimanches contés par Guy de Maupassant ? Pas vraiment : des barques, des canots, des yoles qui sillonnent la rivière ; des bastringues où l’on danse et où cherche l’aventure. Polka et valse naguère, valse toujours et java désormais et l’œil des filles et des garçons qui s’allume dès qu’il s’agit d’aller un peu sous les ombrages voir la feuille à l’envers.

Et puis de tout : on se baigne, en sages maillots, dans de vastes espaces aménagés, on plonge et on s’ébroue, on fait la belle et le coquet avant d’aller manger une matelote ou un lapin chasseur, avant d’aller piquer siestes et roupillons à l’abri des grands ombrages. À moins qu’on ne veuille taquiner le goujon, l’ablette ou la tanche auprès d’un de ces caboulots chantés par Jean Tranchant Ici l’on pêche (et vous pécherez aussi). Il y a un peu partout des accordéonistes, des chanteurs de rue qui proposent au chaland, pour un sou, une partition qui lui permettra de reprendre la rengaine au refrain. Il y a des toboggans, des balançoires, des machines où l’on peut exhiber sa force…Et c’est la fin d’un beau dimanche et il faut revenir à Paris. Quinze minutes qui filment un dimanche de rêve.. Il y a dans ce premier essai de Marcel Carné, une sensibilité, une intelligence, un charme, une capacité à saisir l’instant. On voit déjà que la suite sera belle.

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