Opération Tonnerre

Le début de la fin.

On appelle entropie, en physique, ce qui touche à la dégradation de l’énergie. Aucun domaine n’y échappe, moins encore le cinéma.

Après trois opus plus réussis les uns que les autres, la série des James Bond (la seule, l’exclusive, celle avec Sean Connery) ne pouvait qu’aller vers sa caricature : de plus en plus de stéréotypes, de plus en plus de codes, de plus en plus de gadgets, une surenchère dans l’exhibition des cruautés des méchants et des charmes des girls.

C’était bien loin d’être désagréable et on continue à prendre un vif plaisir à cette accumulation de paysages de rêves, de filles canon et de tueurs sans scrupule. Comme dans toutes les décadences, il y a aussi de bons côtés : on jubile à retrouver les personnages récurrents, le patron des services secrets, M, la délicieuse secrétaire Moneypenny (Lois Maxwell) et le grincheux Géo Trouvetout, Q (Desmond Llewelyn) chargé d’approvisionner Bond en ustensiles fabuleux et improbables. Et puis les dialogues sont vraiment brillants, réussis, dans ce genre très particulier, très anglo-saxon, qui est chargé de sous-entendus graveleux.

Meilleur est le méchant, meilleur est le film, disait Hitchcock (autre rejeton direct du puritanisme !). Loin de moi de dénier à Largo, le numéro 2 du SPECTRE, l’immense talent d’Adolfo Celi qui, dès sa première apparition à l’écran (l’architecte milliardaire de L’homme de Rio), crevait l’écran et qui sera le cynique Professeur Sassaroli de Mes chers amis ; mais enfin Largo, si cruel qu’il est, n’a pas tout à fait la même stature que le Dr. No ou qu’Auric Goldfinger. On se dit que, s’il avait échappé par miracle à la course folle de l’hydroglisseur vers les rochers des Bahamas et à l’explosion subséquente, le Numéro 1 du SPECTRE lui aurait mitonné un affreux supplice en punition. Et il n’est pas bien que le Méchant soit, si je puis dire, un méchant subalterne.

Cela dit, il faut bien indiquer aussi que l’appropriation par une organisation criminelle de deux bombes atomiques afin d’extorquer des rançons aux Puissances est une idée fort bienvenue. Comme d’habitude ce sont les poètes et les écrivains qui devinent le mieux le futur, jamais les technocrates ni les savants. Il est évident aujourd’hui que la principale menace nucléaire ne repose pas entre les mains des États, fussent-ils aussi cinglés que l’Iran ou la Corée du Nord, mais bien plutôt dans celle de groupes d’individus, terroristes islamiques ou mafieux. En 1965, où la coexistence pacifique apparaissait toujours fragile (c’est bien le socle de Bons baisers de Russie, n’est-ce pas ?), la chose n’allait pas de soi (et moins encore en 1961, date de la parution du roman de Ian Fleming).

La bataille sous-marine entre les deux troupes antagonistes – soldats britanniques contre hommes de main de Largo – fut annoncée, lors de la sortie du film en France, comme un des clous du spectacle : elle fait toujours beaucoup d’effet, sans cruautés gore inutiles, mais avec suffisamment de dégâts humains pour remplir ses promesses…

J’ai dit plus avant un mot des sous-entendus et des doubles sens à connotation sexuelle qui abondent dans le film ; j’ajoute que le générique, d’une fluidité formelle extrême, est d’une haute intensité érotique, des bataillons de naïades nues (elles nagent à contre-jour, mais l’œil exercé des adolescents de l’époque ne s’y trompait pas !) poursuivies par des hommes-grenouilles munis de fusils-harpons…. Ô délices de l’allusion elliptique !


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