Orphée

Vanité incantatoire.

On peut penser que Jean Cocteau avait trop de talents divers pour en posséder un seul éclatant. Touche-à-tout de génie, selon ses admirateurs, il laisse, de fait, encore une trace, mais bien davantage comme celle d’un prince désinvolte qui éblouit les jeunes générations de son époque, un lanceur de modes éphémères, un poète dont on serait aujourd’hui bien en peine de citer trois strophes, un romancier oublié, un cinéaste dont on ne se rappelle que La Belle et la Bête, qui doit tout à l’originalité du conte de fées écrit par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont et au talent baroque envahissant du décorateur Christian Bérard.

Il a enchanté le beau monde brillant de formules brillantes et drôles, quelquefois profonde ; en voici deux : – Si votre maison brûlait, qu’emporteriez-vous ? – Le feu ! et La poésie est indispensable. J’ignore à quoi. Mais ce genre de brio et d’éclat ne passe pas si facilement au cinéma. Et c’est pourquoi Orphée est un monument de ridicule et d’ennui, de fausseté et d’enfantillage que – je l’avoue sans gêne aucune – je n’ai pas pu suivre jusqu’au bout, faisant sauter les dix dernières minutes de ce monument gratuit.

Il est vrai qu’y plastronnaient deux de mes têtes de Turcs abhorrées, deux de ces acteurs surévalués des années 40 et 50 et suivantes, deux de ces statues de saindoux hiératiques, pénétrées de leur importance, incapables l’une et l’autre de faire éclore la moindre émotion. La tête-à-claques majuscule, guindée, absente de Maria Casarès – qui suffirait presque à gâcher, (avec son complice Jean-Louis Barrault, il est vrai) Les enfants du Paradis et qui, Dieu merci, s’est davantage consacrée au théâtre qu’au cinéma, où elle n’avait vraiment rien à faire. Et le figé, marmoréen, musculeux, à gueule de statue nationale-socialiste Jean Marais qui a trimballé pendant cinquante ans sur la scène et sur l’écran son physique avantageux et sa totale absence de talent;

Tout cela ne pourrait être rien, finalement. Tout aussi catastrophiques acteurs, Yves Montand (mauvais acteur à l’époque) et Nathalie Nattier ne parviennent pas à gâcher totalement le naufrage grandiose des Portes de la nuit. Mais Jacques Prévert et Marcel Carné avaient un autre talent cinématographique que le virevoltant Jean Cocteau, qui se perd et s’emberlificote dans une reconstruction, une modernisation, une adaptation de l’éternel mythe d’Orphée à l’époque du tournage (1950).

C’est naturellement trop écrit, sur un ton suffisant, qui se veut altier mais qui ne fait que se hausser du col ; c’est plein de jactance, c’est dramatiquement artificiel, pompeux, tordu, ce serait involontairement hilarant si ce n’était pas accablant d’ennui. Ce n’est pas un mauvais film, c’est pire : c’est grotesque, ridicule, accablant de suffisance. Et cette chape de plomb pèse sur tout le monde ; on ne pouvait certes pas attendre grand chose de Juliette Greco, qui fait une apparition, ni de Marie Déa, aussi insignifiante que dans Les visiteurs du soir. Mais on pouvait espérer que François Périer, dans le rôle important d’Heurtebise, s’en sorte alors qu’il paraît comme accablé par la nullité de ce qu’il lui est demandé de jouer ; Henri CrémieuxJacques Varennes font le minimum syndical et on note la très brève présence incongrue de Jean-Pierre Melville.

Il n’y a pas une idée, pas une image, pas une réplique à sauver. Un naufrage.

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