Seul au monde

79918306_oSoignez vos quenottes !

 Je suis assez surpris que l’on puisse présenter, ainsi que je l’ai lu, Seul au monde, qui m’est apparu en excellente robinsonnade, comme un film structuré en trois parties d’inégale longueur dont le réalisateur, Robert Zemeckis aurait souhaité faire percevoir les incertitudes du rapport au Temps.

J’avoue platement que le premier segment, la vie de Chuck Noland (Tom Hanks),  employé efficace et perpétuellement en surchauffe de la société de transport rapide FedEx, m’a semblé un peu long et qu’il ne me semblait pas nécessaire que le réalisateur insistât autant sur cette sorte d’apostolat de l’urgence marchande dont vit (et que subit, sans à peine s’en rendre compte) le personnage.

seul-au-monde-2001-11-gMais surtout j’ai trouvé peu supportable la troisième partie, le retour à la Civilisation de Chuck, longuement naufragé sur une île inhospitalière des mers du Sud, sa prise de conscience que le monde a changé, ses collègues évolué et que la femme de sa vie, le croyant mort, s’est mariée et a un enfant. Par décence, j’aimerais n’avoir rien à dire sur le torrent de mélasse sentimentale qui déferle lorsque Chuck et son ancienne fiancée, Kelly (Helen Hunt), sous une pluie battante, découvrent qu’ils s’aiment encore. Ce genre de connerie indécente de mièvrerie devrait pouvoir être interdite au cinéma (En prison ! en prison pour médiocrité ! comme dit Montherlant dans Fils de personne).

Demeure la partie intermédiaire, la plus longue et la plus intéressante – et de loin ! – portée à merveille sur les uniques épaules de Tom Hanks.

3080383709_1_5_xjf9a8jjL’avion de FedEx où il avait pris place, s’abîme en mer ; il échoue sur une sorte de grand rocher, seul survivant du vol. Chuck va passer plus de quatre ans en terre étrangère et presque hostile, redécouvrant, au fil des jours, le silex taillé, le feu, la pèche au harpon et surtout… la sociabilité grâce à un ballon de volley-ball grimé de son sang et baptisé Wilson qui est son interlocuteur, son Vendredi, à qui il s’adresse et qui reçoit ses humeurs…

Il est certainement très difficile de faire sentir à partir de l’écran ce que peuvent être les pensées, les désespérances, les accablements, les terreurs d’un homme abandonné sur un caillou isolé de tout. En revanche, l’ingéniosité humaine, la capacité d’inventer ou de reproduire les techniques qui ont fait sortir l’Homme de sa condition de primate, sa fabuleuse volonté de survivre émerveillent toujours autant. Et interpellent chacun : aurais-je été capable, moi, avec si peu, quelques colis récupérés de la sauvagerie de l’Océan, quelques souvenirs de scoutisme, un peu d’inventivité, de survivre tant d’années sans abandonner ? Serais-je capable de me faire sauter une dent pourrie douloureuse en cognant dedans ?

De ce point de vue, Seul au monde est remarquablement bien fait et on suit avec un plaisir mêlé d’effroi les mésaventures et les progrès de Chuck, ses renoncements, ses émerveillements, ses échecs et ses triomphes. Le physique assez passe-partout de Tom Hanks,si bien exploité dans l’excellent Forrest Gump, est tout aussi efficacement employé ici.

Dix minutes à retrancher au début ; vingt cinq à supprimer à la fin ; et vous aurez un film très bien fichu.

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