Vivre sa vie

Une redoutable purge !

Le second DVD de l’édition pieuse de Vivre sa vie que j’ai en main présente notamment une longue (45 minutes) intervention de Jean Narboni, qui fut rédacteur en chef des Cahiers du cinéma et entraîna la malheureuse revue vers les impasses du gauchisme forcené jusqu’au maoïsme. En écoutant le dithyrambe narbonien et ses mille manières renouvelées de tresser des couronnes au film de Godard, je me disais que tout ce qui était présenté comme innovation intelligente, coup de génie, habileté éblouissante était précisément ce que j’avais détesté le plus. Et comme tout est de la même veine, j’ai précisément tout détesté. (Un repentir : le thème musical, de Michel Legrand, est très beau : mais indéfiniment répété, jamais développé, il finit lui aussi, à crisper le spectateur).

Cinéma chichiteux, bourré de tics invariables (j’ai retrouvé les mêmes trucs ridicules dans Pierrot le fou, tourné trois ans plus tard)) : la manie du son direct, qui rend souvent peu compréhensibles les dialogues, parasités par des bruits de fond ; le foutage de gueule permanent d’images volontairement décomposées (personnages décentrés, ou filmés de dos) ; la manie du collage d’interventions hétéroclites (insertion d’une longue séquence de La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer, numéro burlesque d’un protagoniste secondaire, conversation dans un bistro avec le philosophe Brice Parain (ceci fait pour donner au spectateur émerveillé l’impression qu’il est intelligent), glacial jeu de questions/réponses naturalistes sur la prostitution au début des années Soixante. Bref un patchwork indigeste, souvent peu supportable.

vivresavie11De quoi s’agit-il ? De présenter, sans regard moral, ni social, l’entrée de Nana (Anna Karina), jeune vendeuse employée d’un magasin de disques dans le monde de la prostitution, par simple besoin d’argent et faiblesse de caractère. Cela se fait sans difficulté ni scrupule, par un simple effet de pente douce. L’idée est plutôt intéressante et le cheminement de Nana est logique et évident (jusqu’à sa fin, grotesque en revanche). On sait presque gré à Godard de poser un regard clinique, un peu froid, glacial, même, sans pleurnicher sur le sort malheureux que l’avidité brutale des hommes fait subir aux oiselles malheureuses. Ni prêchi-prêcha moraliste, ni salacité, c’est à mettre au crédit du cinéaste.

Vivre sa vie - Anna KarinaLe récit est à peu près linéaire, moins désarticulé qu’on pourrait le craindre, mais haché en douze séquences dont on ne perçoit pas l’utilité des scansions. Des exégètes pointilleux pourront justifier cette manie des cartons qui introduisent chacune de ces séquences, comme ils justifient, d’ailleurs, la moindre image, le moindre clin d’œil, la moindre citation, trouvant toujours des correspondances subtiles entre deux tableaux ou deux propos. C’est d’une cérébralité parfaitement vaine, comme la poésie de Stéphane Mallarmé : ratiocinations à l’usage de happy few. C’est d’ailleurs le sentiment d’appartenance à une camarilla de cervelles éminentes qui a fait le succès de Godard jadis : je me souviens du petit air supérieur qu’arboraient, à la sortie des salles, les amateurs de ce cinéma qui heurte le sens commun.

J’ai mis 1, et non pas 0, parce que j’ai un petit faible pour Anna Karina et parce que j’ai terminé mon exploration du double DVD par un joli petit court métrage Tous les garçons s’appellent Patrick, avec notamment Jean-Claude Brialy et Nicole Berger. C’est léger, désinvolte et délicieux ; mais c’est écrit par Éric Rohmer, ce qui explique bien des choses, et tourné par un Godard qui ne se prenait pas encore pour Godard.

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