Les espions

À dormir debout.

Quelle drôle d’idée a eu Fritz Lang de tourner ces Espions, à l’intrigue interminable et confuse, six ans après Le Docteur Mabuse reprenant un canevas un peu similaire : un génie du crime et épouvantable malfaiteur ? Sa compagne d’alors, Thea von Harbou avait adapté le second film d’un roman de Norbert Jacques qui créait un personnage maléfique à longue postérité (Le testament du docteur Mabuse en 1933, Le diabolique docteur Mabuse en 1960) qui avait une petite substance (bien inférieure toutefois à celle de Fantômas). On peut supposer que Thea von Harbou a voulu aller jouer dans cette cour sinistre des malfaisants d’anthologie, puisque c’est elle qui a écrit le roman Spione et l’a adapté pour l’écran. Mais son Haghi n’a pas d’intérêt.

Mabuse et Haghi, toutefois, témoignent à leur façon du malaise profond que connaissait l’Allemagne depuis la défaite de 1918, malaise qui allait culminer au début des années 30 et allait la jeter avec un enthousiasme dans les bras de qui vous savez. Société anxieuse et persuadée que derrière chacun peut camper une vaste organisation de bandits omnipotents, sans scrupules, dotés d’un pouvoir occulte aussi fascinant que terrifiant. Dans de grandes villes inhumaines, derrière de lourdes façades d’immeubles respectables tout autant que d’entrepôts vétustes il y a des bandes de tueurs froidement dirigées par un mégalomane génial.

Normalement la narration de ce genre d’histoire, qui tient sur quatre lignes et un ticket de métro est vive, violente, animée. Il y a les bons et les méchants, en l’espèce les criminels et les policiers : ça paraît simple, n’est-ce pas ? Pour compliquer un peu, un tout petit peu le récit, on va insérer dans le combat une femme ravissante qui travaille pour le chef du Mal mais va être séduite par le combattant du Bien, jusqu’à trahir le premier et risquer de perdre la vie. Banalité assumée, assises solides, classicisme impeccable.

Donc le banquier Haghi (Rudolf Klein-Rogge), sous une couverture impeccable, dirige une organisation internationale d’espions qui, au moyen de subterfuges divers, chantages, pressions, supercheries, se procure des documents, informations, traités dont, au demeurant on ne sait ce qu’il fait. Naturellement, en découvrant ce sinistre personnage, prétendument paralysé, j’ai songé à Blofeld chef du SPECTRE, dans bon nombre des aventures de James Bond (une bonne dizaine d’incarnations, ce qui est dommage, car la série aurait gagné à voir incarner le Mal par une seule et même physionomie).

Haghi a, comme de juste, une coterie de complices, qui lui sont dévoués. La plupart le sont jusqu’à la mort et iront jusqu’au bout de leur engagement. Mais il y a un grain de sable, une goutte d’huile dans le processus : une espionne russe, Sonya Baranilkowa (Gerda Maurus, absolument belle) qui ne sert son maître qu’en souvenir de son père et de son frère, inculpés et déportés on ne sait où par l‘Okhrana, la police secrète tsariste. Mais elle ne peut guère résister devant la détermination, le courage et le charme de l’agent n°326 (Willy Fritsch).

Naturellement tout cela s’achèvera par la victoire du Bien sur le Mal ; Haghi, costumé en clown (!!) et démasqué, sera abattu par les agents de la police qui l’ont traqué ; les amoureux auront tout loisir de vivre leur bonheur ; entretemps, on aura vu quelques minces cruautés, comme celle d’un diplomate japonais qui se fait hara-kiri en direct pour s’être fait duper par Haghi ; une collision ferroviaire dans un tunnel ; et une trop longue séquence dans la banque de Haghi, assiégée par la police, où manquent mourir les bons éléments par l’effet d’un gaz asphyxiant.

C’est long, ennuyeux, touffu, souvent ridicule. On se demande comment Fritz Lang a pu tourner ensuite d’excellents films, M le maudit, Les contrebandiers de Moonfleet, Le tigre du Bengale et Le tombeau hindou. Un bon artisan du cinéma, survalorisé par la camarilla de Godard et compagnie.

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