Les otages

Un film munichois ?

Voilà un film dont la place dans l’histoire du cinéma français est complexe et, d’une certaine façon, très ambiguë. Un film plaisant, attachant même, orné de bonnes trognes de bons acteurs et décoré par une jolie fille, Annie Vernay, dont le nom serait sans doute plus notoire si elle n’avait attrapé le typhus sur le paquebot qui l’emmenait à Hollywood. Elle est morte alors qu’elle n’avait pas 20 ans. Les otages était le cinquième film qu’elle tournait, juste après Werther du grand Max Ophuls. Glaçant, n’est-ce pas ?

Mais si triste que soit cette mort prématurée, elle marque moins que le contexte. Il faudrait être un grand spécialiste de la période pour l’affirmer péremptoirement, mais, dans ma modeste connaissance, voilà le seul film munichois que je connaisse. Munichois ? Que voulez-vous dire ? C’est bien simple, si on connaît un peu d’Histoire, beaucoup moins si on est ignare.

Le réalisateur Raymond Bernard a tourné à l’été 1938, à un moment où le Monde retient son souffle et croit vraiment que la catastrophe est imminente, que vingt ans après la capitulation de l’Allemagne il va falloir retourner au front. Les exigences d’Hitler deviennent de plus en plus pressantes, de plus en plus inadmissibles, de plus en plus voraces.

Quelques mois auparavant, le 12 mars 1938, l’Autriche a été purement et simplement annexée au IIIème Reich. Et le Führer annonce qu’au 1er octobre il annexera pareillement la région des Sudètes, commençant ainsi à dépecer la Tchécoslovaquie. Et, manœuvre désespérée (désespérante ?) inspirée par Mussolini, les Accords de Munich à la fin de septembre, sauvent la paix. En tout cas, on croit la paix sauvée, jusqu’à ce que moins d’un an plus tard, la Pologne étant la prochaine proie, les Alliés franco-britannique, stupéfaits par le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939, déclarent la guerre à l’Ogre.

Pourquoi parler si longuement des événements de l’été 38, pour un film qui se déroule entre août et début septembre 1914 ? Parce que Les otages expose de façon assez curieuse et très intéressante le sentiment de soulagement des Français, le lâche soulagement énoncé par Léon Blum (qui s’était bien gardé, pendant son passage à la tête du gouvernement de Front populaire d’accroître les crédits militaires). Dans cette histoire qui commence de manière presque narquoise, dans une sorte de Clochemerle, avec des personnages très typés et très ridicules, où s’étale une romance de type Roméo et Juliette entre la fille du Maire et le fils du hobereau (qui ne peuvent se supporter), tout finit par s’arranger.

Les six villageois pris en otage pour que le meurtrier d’un officier allemand soit appréhendé ou se dénonce, seront finalement libérés par la contre-offensive française sur la Marne (les fameux Taxis) le 5 septembre et reviendront chez eux portés triomphalement sur les épaules de leurs concitoyens. Et c’est si vrai qu’une des plus notoires affiches du film montre précisément cette scène, ce qui tue pour le moins tout le suspense dramatique. Ce triomphe, c’est aussi un peu celui que recevra Édouard Daladier au retour de Munich, qui pensait être lynché par la foule qui l’attendait au Bourget et qui reçut des ovations sans fin. Finalement, tout s’arrange, n’est-ce pas ?

Cela étant, le film est très plaisant, mêlant, donc, sous une forme originale, querelles de village, historiette amoureuse et, de façon plus glaçante, sauvagerie des Boches qui menacent de brûler le patelin et, même en fuite, décident de fusiller les otages, sauvés in extremis par un officier allemand moins fanatique. Excellents acteurs de second rang, de ces acteurs qui faisaient la trame du cinéma français et qui donnent de l’authenticité au récit précisément parce que ce ne sont pas des vedettes. Deux silhouettes délicieuses et opposées, le hobereau Rossignol (Saturnin Fabre), le maire Beaumont (Fernand Charpin), l’huissier pusillanime Fabien (Pierre Larquey), le garde-champêtre (Noël Roquevert) et le braconnier (Dorville), Rameau, le coiffeur consciencieux (Pierre Labry) et puis Marcel PeresSinoël ou Jean Paqui. Et chez les femmes, en deuxième rideau, Marguerite PierryMady BerryPalmyre Levasseur… Tous noms qui s’effacent…

Le DVD est assez curieux : comme le film a connu l’intervention des censures française et suisse-allemande et que le négatif original était perdu, il a été reconstitué grâce à deux matrices, ce qui permet de le voir aujourd’hui dans son intégralité. Mais, chose cocasse, là où la censure française a frappé, les bouts de films récupérés apparaissent avec des sous-titres en allemand… Décidément l’époque était singulière…

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