Mark Dixon, détective

Vibration nocturne.

On peut dire sans guère de crainte de se tromper que la plus mauvaise idée du film d’Otto Preminger, c’est son titre. Le titre français, Mark Dixon, détective est d’une grande platitude et n’ouvre pas la porte à la moindre curiosité. Le titre anglais original, Where the Sidewalk Ends, c’est-à-dire, si le traducteur Google est pertinent Là où le trottoir se termine est, à rebours, d’une singularité qui confine au mystère ; et qui, en tout cas, n’oriente en rien le spectateur ; j’en suis d’ailleurs toujours à me demander ce qu’il veut dire et en quoi il souligne l’intéressante histoire relatée.

Pour bien étaler mon habituelle ronchonnerie, je vais trouver une autre raison de tordre un peu le nez : la trop modeste présence à l’écran de la si belle Gene Tierney, pourtant héroïne du film. J’ai lu quelque part qu’Otto Preminger était un réalisateur plutôt vif et misogyne. J’ignore si la chose est attestée, mais ce que je sais bien c’est que lorsqu’on dispose d’une si grande merveille de beauté et de talent, on se débrouille pour lui trouver une place dans toutes les séquences et même dans tous les plans.

Bien. Cette mauvaise bile jetée et quelques invraisemblances de scénario acceptées, voilà que j’ai été captivé par ce film noir qui a aussi le bon esprit d’être nocturne et superbement filmé, dans des atmosphères qui sont moins inquiétantes (car cela, c’est relativement facile pour qui connaît un peu de grammaire cinématographique) que réalistes. Je veux dire par là qu’on sent de façon très palpable, très concrète, très tangible presque, ce qu’on pourrait appeler l’épaisseur de la nuit new yorkaise. C’est dans cette épaisseur que se déroule une histoire plutôt originale (mais ce n’est pas le plus important) menée par le policier Mark Dixon (Dana Andrews).

Dixon est un flic rude, un cogneur qui ne s’embarrasse pas trop des procédures et des présomptions d’innocence. Il a dans son collimateur un habile gangster, Tommy Scalise (Gary Merrill) qu’il poursuit obsessionnellement pour le faire tomber ; mais le bandit est d’autant plus habile qu’il a été formé par le propre père de Dixon, qui était un célèbre brigand. Voilà le côté un peu romanesque du scénario. Remarquez, c’est exactement la même situation que dans Les voleurs d’André Téchiné. Et une situation tout à fait inverse que dans La nuit nous appartient de James Gray.

En tout cas le rejet par Dixon de cette ombre paternelle explique sa violence et sa détermination. Joignons à cela la fascination immédiate et absolue que cet homme sans femme ressent pour la belle Morgan Taylor (Gene Tierney), mannequin dans une maison de couture et épouse séparée de Ken Payne (Craig Stevens), héros de la guerre (nous sommes en 1950), qui a mal tourné à son retour dans la vie civile. Suite de péripéties très bien menées et surprenantes jusqu’au bout, alors même qu’on se demande bien comment Dixon, qui a tué Payne accidentellement, va pouvoir se sortir de la situation où il s’est mis.

Ajoutons à cela des dialogues percutants, quelquefois même assez drôles, par exemple le délicieux franc-parler de Martha (Ruth Donnelly) la patronne du restaurant où dînent Mark Dixon/Dana Andrews et Morgan Taylor/Gene Tierney et un rythme toujours soutenu. Ça ne vaut pas Autopsie d’un meurtre, mais c’est mieux que Laura.

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