Pension d’artistes

Miroir aux alouettes.

Tombé là-dessus tout à fait par hasard et ravi à la fois par l’entrain, le verbe, le rythme de cette screwball comedy (comédie loufoque en bon français) et par les cibles visées. Comme on connaît un peu la réalité des choses, on ne qualifiera pas ça de dénonciation des pratiques habituelles des prospères producteurs de spectacles vis-à-vis des oiselles qui viennent, chairs tendres et fragiles se brûler le museau aux feux de la rampe. Mais on s’amusera, avec ce film de 1937, de retrouver l’évidence que le monde est monde et que les mecs qui ont à la fois le fric et le pouvoir ont une sorte de droit de cuissage absolu, en tout cas évident sur les volières qui se renouvellent perpétuellement et frissonneront d’impatience tant qu’il y aura des hommes salaces et des femmes déterminées.

Je conçois que ce que je viens d’écrire peut paraître obscur à qui ne connaît pas le film de Gregory La Cava, découvert par pur hasard et qui ne manque pas de qualités. Voilà que dans les États-Unis qui se remettent à peine de la grande crise, existe à New-York une sorte de pension de famille où s’entassent une vingtaine de plus ou moins jolies filles, danseuses, comédiennes, chanteuses, à l’enseigne des Feux de la rampe. Ce gynécée, tenu d’une main molle par Mme Orcutt (Elizabeth Dunne) offre une sorte de bouillonnement permanent entre des jeunes femmes qui se concurrencent, se jalousent, s’envient, se détestent et s’adorent. Les mots fusent, les vacheries s’amoncellent, les aversions éclatent. Et en même temps il y a une certaine communauté de destins, une identité d’espérances… Parce que si l’une réussit, ça peut aussi vouloir dire qu’on peut soi-même arriver à quelque chose.

Au milieu de cette assemblée, il y a un nom qui signifie davantage que d’autres, celui d’Anthony Powell (Adolphe Menjou), tout-puissant producteur de spectacles à Broadway qui vient de temps en temps faire son marché parmi toute cette chair fraîche. Sa puissance et sa notoriété lui permettent de sortir de l’ombre un frais minois et de lui assurer un brimborion de notoriété qui récompensera un bref instant la jolie fille des complaisances qu’elle lui aura consenties. En 1937, Harvey Weinstein, qui est né en 1952, n’était sans doute pas encore une ombre dans les yeux de ses parents. N’empêche que les manigances qui lui ont valu une grande célébrité lors de l’éclosion du mouvement féministe Me too ne datent évidemment pas d’hier. Personne n’a d’ailleurs jamais nié que les promotions à la culotte soient fréquentes et fécondes dans tous les domaines de la société. On peut simplement s’amuser de voir certains nigauds imaginer que ça va s’arrêter. Comme la guerre ou la violence ce genre de dégâts est inhérent à la nature humaine et il faut toujours se rappeler que le 24 juillet 1929, deux rêveurs, Aristide Briand et Frank Kellogg mettaient par le Pacte de Paris, la guerre hors la loi. Dix ans plus tard… bon, je n’insiste pas.

Pension d’artistes est un film délicieux et absolument superficiel, qui ne vaut – mais il vaut beaucoup et bien – que par l’allégresse, le pétillement, l’allure, l’esprit qui ne s’arrêtent jamais. Et qui malgré une allure très gaie, n’hésite pas à aller fouiller souvent dans les limbes assez sordides de ces jeunes femmes qui n’ont d’autre ressource que de se prostituer aux riches producteurs ou bien comme la trop pure Kaye (Andrea Leeds) de se jeter par la fenêtre de désespoir. Se tuer parce que malgré un réel talent, on lui aura préféré l’assez médiocre Terry Randall (Katharine Hepburn), dont le père est multi millionnaire.

Le film, volontairement je pense, se confine, se limite à la comédie brillante ; il n’aurait pas été invraisemblable qu’il pût aller fouiller au milieu du marigot, les espérances toujours déçues, les concessions qu’on fait à ses idéaux, la tentation de se vendre à n’importe qui et pour n’importe quoi, la résignation à la médiocrité, la fausseté des succès, le clinquant des illusions. Pension d’artistes s’emprisonne un peu dans le cadre étriqué du gynécée, mais brille grâce à de bien belles filles ; Katharine Hepburn est excellente comme de coutume, mais on découvre aussi une Ginger Rogers qui sans même danser, ou à peine, était bien séduisante…

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