La famille Bélier

La-famille-belierRecette immanquable de fin d’année.

Supposons que vous soyez un réalisateur un peu roublard qui a connu déjà un certain succès avec un film qui ne manque pas tout à fait d’intérêt, L’homme qui voulait vivre sa vie ; vous êtes Éric Lartigau et vous vous dites qu’il doit bien y avoir des recettes pour décrocher un plus gros cocotier et gagner plein de picaillons.

Comme vous humez finement l’air du temps, vous savez que la mode est au handicap, supporté joyeusement et même gaiement comme dans Intouchables ; c’est déjà une bonne base. Vous prenez un petit peu moins lourd que la tétraplégie, vous choisissez une famille de sourds. Enfin, plus exactement, trois quarts de la famille : Rodolphe Bélier, le père (François Damiens), Gigi, la mère (Karin Viard) et Quentin, le fils (Luca Gelberg). Et une miraculée (ce qui agace d’ailleurs sa mère), la fille Paula (Louane Emera) qui est l’intermédiaire entre la famille et le monde entendant.

549059d3357028b5e964bb03Voilà déjà une bonne base marketing. Mais vous ne vous arrêtez pas là : vous vous souvenez qu’une dizaine d’années auparavant, il y au un film musical, Les choristes (lui-même remake médiocre d’une charmante Cage aux rossignols d’avant-guerre) qui a mis en scène, si l’on peut dire, de gracieuses voix juvéniles. Le spectateur moyen, qui apprécie toujours la pureté des trilles adolescentes, sera assurément attendri, d’autant qu’on proposera à son admiration franchouillarde certaines des mélodies les plus sirupeuses de Michel Sardou (j’excepte de ma moquerie La java de Broadway, agréablement jazzée).

Et on va situer ça à la campagne, mais dans une campagne ripolinée, comme dans Je vous trouve très beau : c’est en Mayenne, à côté de Laval et la famille, qui vit dans une ferme cossue qui paraît sortir d’un magazine de décoration chic, paraît subsister de la seule vente sur les marchés de sa petite production fromagère (tomes et – ai-je cru entendre – camemberts ; des camemberts dans le Maine ???).

la-famille-belier-louane-emera-paula-belierOn ajoute à ça un tout petit bout d’intrigue sentimentale entre la jeune Paula et un garçon de son âge, Gabriel (Ilian Bergala), féru de chant choral et une assez ridicule pincée de politicaillerie locale, le père Bélier, sourd-muet donc, tentant de déloger le maire du village, mais finissant par insulter tous ses potentiels électeurs (Il faudrait tout de même avoir beaucoup de culot pour rapprocher le propos de L’arbre, le maire et la médiathèque qui n’est pourtant pas un des meilleurs Rohmer).Et comme on est un cinéaste moderne, c’est-à-dire hardiment libéré, on introduit dans la mixture une grosse dose de sexualité grassouillette, à certains moment obsessionnelle, qui semble donner foi aux pires clichés sur l’appétit charnel des infirmes. Il y a d’ailleurs une séquence particulièrement choquante où, chez un médecin avec ses deux parents, la jeune Paula, utilisée comme interprète en langue des signes, traduit pour le praticien les mésaventures gynécologiques de sa mère et les traitements antiseptiques de son père. Voilà qui m’a paru absolument glaçant et totalement obscène.

C’est donc ainsi, dans l’esprit compassionnel, émotionnel, fusionnel qu’on réunit 7,5 millions de gogos devant les écrans. Et c’est tellement complaisant qu’on en rougit. Il est vrai que ça a été écrit par Victoria Bedos, la fille de l’autre. On comprend mieux.

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