L’empreinte d’Ophuls.
Je ne conseille à personne d’acquérir le DVD de Divine qui souffre d’une double imposture.
La première est l’édition par le margoulin René Château, qui est au dessous de tout, une des pires qui se puisse, encore inférieure à celle de Un revenant (l’admirable film de Christian-Jaque) qui était pourtant épouvantable. Je sais bien que Divine date de 1935 et qu’il ne faut pas être trop exigeant ; mais je m’insurge contre les indications qui figurent sur le boîtier : Image et son restaurés, avec l’hypocrite bandeau oblique : quelques imperfections dues à l’épreuve du temps. Tu parles ! C’est à un point tel que le son est parfois difficilement audible et que l’intrigue devient incompréhensible sur le moment ; je me suis repassé quatre fois certaines séquences, et rien n’y a fait (je sais bien que je suis un poussah égrotant, à la limite du gâtisme, mais à la limite seulement…). Se peut-il que la version passée récemment au Cinéma de minuit soit de meilleure qualité ?
La deuxième imposture tient à la scénariste et dialoguiste, dont c’est la première intervention directe au cinéma, ce qui est présenté comme un argument de vente formidable : c’est Colette, dont le nom assurait au film une aura sulfureuse… Je me demande pourquoi cette styliste au verbe dru, à la belle qualité de langue, mais dont le sens du récit est limité, bénéficie encore aujourd’hui de l’indulgence des lecteurs (quatre tomes en Pléiade, tout de même) : sans doute est-ce dû à son statut de femme libre, divorcée, libre-penseuse, bisexuelle et aux thèmes gentiment libertins de ses intrigues. Toujours est-il que celle de Divine est à la fois insignifiante et bâclée (la fin, avec son retournement invraisemblable, est d’une indigence comme j’en aie rarement vue). Quant aux dialogues, il n’y a rien à en sauver, ni un mot, ni une image, ni une fulgurance ; je m’étais fait déjà la même observation en voyant Lac aux dames, adaptation du roman de Vicky Baum par Marc Allégret, également dialoguée par la Dame du Palais-Royal.
Qu’est ce qui reste à Divine, alors ? Max Ophuls évidemment. Bien sûr il ne faut pas s’attendre à trouver là la qualité extrême des films postérieurs, Lettre d’une inconnue, ou les trois chefs-d’œuvre, La Ronde, Le Plaisir et Madame de, ou même de Sans lendemain ; mais il y a déjà cet extraordinaire sens du maniement de la caméra, de la captation du mouvement, de la frénésie… Et c’est particulièrement adapté à un film qui se passe, pour une grande partie, dans les coulisses et les escaliers d’un music-hall, avec les courses précipitées des girls de la revue, des machinistes, du régisseur, du cataclysmique directeur (l’excellent Marcel Vallée).
Les autres acteurs sont assez convenables : Simone Berriau parvient difficilement à faire croire qu’elle est issue de la campagne profonde (aux premières images, elle manie la charrue, tirée par un percheron), mais elle est belle. Comme est vénéneuse Gina Manès et cafarde Jeanne Fusier-Gir. Chez les hommes, on se dit que Philippe Hériat, qui joue le sale type, a bien mieux fait de se tourner vers l’écriture (où il connut l’immense succès de La famille Boussardel et siégea à l’Académie Goncourt) ; Gabriello n’a pas à se forcer pour être gluant ; Georges Rigaud et Paul Azaïs, étoiles de troisième importance, ont une bonne tête…
Bref, hors pour qui souhaite disposer de la totalité de l’œuvre du grand Ophuls, voilà une emplette dont on peut aisément se passer.