Agence matrimoniale

La qualité du cinéma d’antan.

Il ne viendra à l’idée de personne de présenter Jean-Paul Le Chanois pour un des Titans de la réalisation française des années de la prospérité, de la France tranquille et agréable des années 40 et 50, aux moments où, un peu dégagé de la férule communiste de ses débuts, il filme un pays heureux d’avoir survécu aux conflits et aux cataclysmes. Et pourtant citer Messieurs LudovicPapa, Maman, la bonne et moi et sa suite, aussi réussie Papa, Maman, ma femme et moi ou la version des Misérables avec Jean Gabin, c’est éveiller chez les amateurs du bon cinéma français classique, des étoiles de plaisir… 

Eh bien Agence matrimoniale est du même fumet, de la même dimension. Sans être confondante d’originalité, l’histoire est plaisante et inédite, les dialogues, sans être éclatants, sonnent justes, les acteurs, sans briller outrageusement, passent bien la rampe. Et d’ailleurs il y en a beaucoup, beaucoup, qui ne font quelquefois que d’apparaître, mais qu’on a toujours plaisir de reconnaître.C’est Bernard Blier qui mène le jeu. Dira-t-on un jour combien cet acteur français fut immense, capable de jouer les saints et les salauds, les braves types et les minables, les grands et les petits rôles ? Je ne crois pas avoir vu un film où son passage, fût-ce dans une seule séquence, ne soit pas remarqué et apprécié ?

Dès qu’on l’aperçoit, on sait que le rôle sera marquant, exemplaire, réussi. Comme souvent, dans Agence matrimoniale , on capte Noël Cailleret, bourgeois tout petit, tout petit, employé de banque d’une mesquine ville de province, orphelin de longue date sous la férule insistante, autoritaire de sa mère (Yolande Laffon), amoureux de son amie d’enfance Gilberte Jolivet (Michèle Alfa) mais incapable de lui dire son amour à quoi elle répondrait volontiers. Lasse de ce silence, Gilberte s’enfuit de cette petite ville provinciale pour un mariage qui échouera.

On devine dès lors la suite, qu’on sera heureux de trouver conforme à son évidence. Mais il y a davantage dans le film : un regard assez neuf et très bien mis en scène sur la solitude, sur l’isolation de tous ceux qui se retrouvent dans les larges plages des dimanches à errer dans les villes sans savoir ni pouvoir se décoller de la vacuité des vastes avenues sans âme ou de la fausse agitation des boulevards qui ne font que mal cacher leur capitulation.

Il se trouve que le bon Noël se retrouve miraculeusement hériter d’une vieille tante une agence matrimoniale établie à Paris ; le métier ne le fait pas rêver, mais Paris est l’occasion de chercher et peut-être de retrouver la Gilberte de son enfance à qui il n’a jamais renoncé.

L’histoire d’amour est aussi sage et douce qu’on le souhaite. Elle s’insère dans l’assez drôle découverte par Noël du boulot étrange qui consiste à adapter à chacun chaussure à son pied. Amusante et attachante succession de séquences où sont mises en scène des situations quelquefois pathétiques (la jeune fille sourde, l’autre, désargentée, que ses parents veulent vendre en quelque sorte, celle qui est enceinte et à qui on cherche un mari convenable et complaisant, celle qui est affublée d’une tâche de vin qui la défigure). Il y a des numéros d’acteurs Il y a des numéros d’acteurs (Louis de Funès qui exige qu’on lui présente des femmes agréables, comme il est stipulé dans le contrat), des situations scabreuses…

En tout cas plein de situations qui doivent avoir été captées sur la réalité. Et Noël trouve en Julien (Carette), son habile factotum, un collaborateur-complice idéal.

Ce qui est très agréable, très réaliste dans le film, c’est la peinture de la réalité, grotesque, sinistre ou pathétique ; dans le paysage trop optimiste du cinéma de l’époque, on a plaisir à trouver un peu de grincements;

Mais un peu seulement ; car à la fin, comme dans les romans de la Comtesse de Ségur, tout s’harmonise miraculeusement. On n’a pas trouvé ça désagréable, pourtant.

 

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