Médiocrité absolue et satisfaite.
Quand j’avais quinze ou seize ans, en 62 ou 63, que le cinéma avait déjà éclaté entre sénateurs tranquilles et bien pourvus de la Qualité française et jeunes loups dévorants de la Nouvelle vague à qui étaient dévolues les grandes salles d’exclusivité, il y avait des kyrielles de cinémas de troisième rang qui vivotaient, aussi bien dans les centres ville que dans les périphéries. Y passaient des films de bric et de broc, des péplums fauchés, de la science-fiction bricolée avec des bouts de plastique, des comiques crapoteux.
Mais ce qui fonctionnait le mieux, finalement, à nos yeux de petits bourgeois à la sexualité puissante et frustrée, c’étaient les films de police ou d’espionnage qui comportaient des scènes sexy, avec, ici et là, en arrière-plan une paire de seins ou une paire de fesses, un strip-tease assez sage et une bonne quantité de scènes de lit dotés de draps bienveillants et – si je puis dire – prudes.Les réalisateurs les plus notoires de ces films interdits aux moins de 16 ans étaient Max Pécas (dont je me rappelle encore assez bien De quoi tu te mêles, Daniéla ? (avec une prestation réussie d’Eddy Mitchell et ses Chaussettes noires) et José Bénazeraf.
Si Pécas se contentait de faire du cinéma alimentaire sans prétention, Bénazéraf avait d’autres ambitions, se voulant un peu dynamiteur du système, doté d’une conscience politique, comme on dira plus tard. Il se voulait prophète d’une voie cinématographique dégagée de tous les dogmes et se considérait capable d’apporter au cinéma une orientation nouvelle, rageuse et originale. Ceci passait par la violence agressive et par l’érotisme déclaré, tous partis-pris supposés subversifs vis-à-vis de la domination gaulliste écrasante et quasiment national-socialiste que la société prospère des Trente glorieuses et nos seize ans puceaux étaient censés subir.
Joë Caligula, tourné en 1966, a été, comme de juste soumis à la Commission de classification des œuvres cinématographiques ; dans une note du 22 juin 1966, le Secrétaire d’État à l’Information de l’époque, Yvon Bourges, refusait le visa sous le prétexte, notamment que l’auteur a soigneusement accumulé, sans aucune justification de caractère artistique ou intellectuel, les scènes de violence, de torture et d’érotisme. Il en résulte un film totalement immoral, qui ne fait qu’illustrer le crime et les sentiments pervers et qui ne peut se prévaloir, en contrepartie d’aucun aspect positif, sur quelque plan que ce soit.
Je ne suis vraiment pas partisan de la censure, pour des raisons, d’ailleurs, essentiellement pratiques, l’œuvre censurée bénéficiant généralement d’une publicité éclatante et suscitant, pour sa défense, de vertueux plaidoyers indignés ; c’est ainsi que juste après l’interdiction de Joë Caligula, le Pape de la Cinémathèque Henri Langlois organisa deux projections du film, où se pressa le Tout-Paris branché et déclara même Ce film charrie des pierres qui sont de véritables diamants.
Je ne suis pas partisan de la Censure, disais-je, mais je partage absolument les motivations de l’avis signé par Yvon Bourges. Composée de séquences mal reliées les unes aux autres, chacune jouant sur une teinte particulière (violence, érotisme, torture), cette histoire de sales méchantes frappes méditerranéennes qui montent à Paris pour essayer d’en chasser les vieux sénateurs du grisbi qu’ils pensent amollis, est d’un ennui sans nom.
On ne peut dire que, dans le rôle-titre, Gérard Blain soit mauvais ; l’a-t-il jamais été, d’ailleurs ? Début de carrière éclatant, mais anticonformisme de droite et exigences austères qui l’ont écarté du succès. Cela étant il domine avec aisance une distribution hétéroclite où on a la surprise de revoir deux stars féminines du passé, Junie Astor et Ginette Leclerc. Il y a à retenir quelques plans, quelques cadrages assez beaux, des déambulations dans des endroits magiques, magnifiés encore par les lumières de la nuit de Paris… mais ça ne suffit pas, pas du tout à placer Joë Caligula (aussi intitulé Du suif chez les Dabes) au dessus du Zéro absolu.