Intéressante exception
Dans l’imposante, prolifique carrière cinématographique de Fernandel (148 films, selon Imdb !), au milieu de nanars atterrants et de nouilleries alimentaires, qu’est-ce qui surnage ? Les films tournés avec Pagnol
– Regain
, Le Schpountz
, La fille du puisatier
, Naïs
-, la cruelle Auberge rouge
de Claude Autant-Lara
, les Duvivier
, de Carnet de bal
aux deux premiers Don Camillo
(sans oublier L’homme à l’imperméable
), le Crésus
de Giono
, les honnêtes Le fruit défendu et La vache et le prisonnier d’Henri Verneuil et aussi Meurtres ? de Richard Pottier.
Et c’est tout. Ou presque. Mais j’ajouterais bien cette intéressante Armoire volante d’un cinéaste plus rare, qui, au contraire de Fernandel
n’a guère laissé de traces dans le paysage.
C’est un film sarcastique qui pourrait être grave, c’est un film farfelu qui pourrait être énigmatique. Il suffirait de bien peu pour changer les données. Ce Monsieur Puc, célibataire coincé et taciturne joué par Fernandel, n’est pas si loin du Monsieur Hire
de Simenon
(successivement le Panique
de Duvivier
et le film de Patrice Leconte
) et on n’est pas très loin non plus, à certains moments du noir et blanc superbe et terrifiant des Yeux sans visage
de Franju
.
Mais c’est un film narquois, tourné vers l’humour noir, l’ironie, le ricanement même, un film où une musique sautillante et guillerette accompagne les moments qui pourraient être d’angoisse où Puc recherche, dans une armoire le corps gelé et momifié de sa tante qu’il doit retrouver pour pouvoir hériter.
C’est un film surréaliste où, à chaque instant, on pourrait basculer dans le burlesque, un film burlesque qui n’est pas très loin de l’angoisse : il y a un plan où la concierge de Puc, et les deux commères à qui elle est appariée, semblent, dans un éclairage satanique figurer les Parques (d’autant que la concierge, c’est Germaine Kerjean
au visage si extraordinaire – Goupi-Tisanes dans Goupi mains rouges
, la mère de Chatelin (Jean Gabin
) dans Voici le temps des assassins
) ; il y a aussi ce plan extrêmement célèbre – et qui paraît issu du Vigo
de Zéro de conduite
– où seize armoires à glace toutes identiques sont portées par des déménageurs dans l’appartement de Puc, plan plastiquement admirable qui suffit à décaler le regard du spectateur.
Fernandel est continuellement au devant de la scène, les autres acteurs ne faisant que lui donner leur (maigre) réplique ; on note ici et là quelques silhouettes connues : Maximilienne
, la vraie jeune fille de L’assassin habite au 21
, Berthe Bovy
, Albert Dinan ou Jean Temerson
Un excellent film, en fin de compte, drôle et méchant, une trop rare exception dans la carrière de Fernandel qui a tant et tant galvaudé un talent merveilleux…