Le changement fait rage

Tire, tire l’aiguille, ma fille !

Dès qu’un film a passé vingt ans – ce qui n’est pas une très grande vieillesse, on en conviendra – on note, en le revoyant des tas de pettits détails singuliers qui paraissent prendre aujourd’hui un tour plus rapide : il est bien vrai que le changement s’accélère, qu’il y a quinze ans seulement, il n’y avait pas de téléphone portable (c’était seulement le début de ces ébauches appelées be-bop : vous en souvenez-vous ?), que les policiers portaient des casquettes plates, et non pas des casquettes à l’américaine comme aujourd’hui, alors que pendant des décennies, ils avaient arboré des képis, que la physionomie des bagnoles a changé…

…mais la tenue des passants – jeans et baskets – n’a guère évolué, demeure en tout cas bien moins différente que la mutation de 68 ne l’a bouleversée (regardez les photos des manifs, au moins au début : une grosse proportion de manifestants porte une cravate), les problèmes de chômage et d’insécurité sont identiques, l’événementiel l’a déjà emporté sur l’argumentatif (France-Info – l’obligation de donner des nouvelles toutes les sept minutes – existe déjà)…

En d’autres termes, les signes de changement, substantiels ou non, ne vont pas au même rythme ; et si on peut alléguer avec raison que demeurent l’âme humaine et le mystère de la passion amoureuse, on pourrait aussi, a contrario noter combien les tabous, les interdits – ou les obligations – sociologiques ont bougé.

Et je ne suis, à ce titre, guère d’accord avec ceux qui pensent que La littérature (les mots et l’imagination) résiste mieux… ; je ne crois pas que, dans un monde aussi mouvant que le nôtre, les enthousiasmes, les scrupules ou les désarrois relatés par Balzac, ou Maupassant, ou Proust soient aisément accessibles par les générations d’aujourd’hui (pas plus que nous-mêmes ne pouvons vraiment comprendre, dans le roman – fin 18ème – de Bernardin de Saint-Pierre, cette gourde de Virginie qui préfère mourir noyée avec son Paul plutôt que d’ôter ses vêtements afin de mieux nager).

D’autant que le langage lui-même n’est plus ce substrat partagé par une communauté très large, mais est de plus en plus une communautarisation de dialectes ; un ami me faisait récemment remarquer, après avoir regardé une émission consacrée aux chansons des Sixties, combien certaines sont incompréhensibles pour une grande partie de la jeunesse ; et il citait l’immortelle La plus belle pour aller danser, susurrée par Sylvie Vartan, sur deux points :

Un, lexical :

Ce soir, je serai la plus belle pour aller danser
Pour mieux évincer toutes celles que tu as aimées

Allez donc demander, à une classe de Seconde normale (je ne parle pas d’une classe d’Henri IV ou de Louis-le-Grand), la définition d‘évincer ; vous m’en direz des nouvelles !

Autre point, sociologique :

Je garde l’espoir que la robe que j’ai voulue
Et que j’ai cousue point par point…

En 1963, les jeunes filles cousaient leurs premières robes de bal : elles savaient coudre.

N’est-on pas à des années-lumière de tout ça ?

 

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