Les filles de la concierge

Un joli brin de fantaisie.

Artisan de qualité qui n’avait pas beaucoup foi en son talent (et qui avait assez tort), Jacques Tourneur frappe par son éclectisme et la variété des sujets qu’il aborde. Passé d’abord par les comédies françaises légères, il est passé, alors qu’il avait rejoint les États-Unis, par l’espionnage (Phantom raiders 1939), l’horreur exotique (La féline 1942, Vaudou 1943, L’homme léopard 1944) ; mais aussi le western (Le passage du canyon 1946), l’aventure médiévale (La flèche et le flambeau 1950), le récit pirate (La Flibustière des Antilles 1951), le péplum (La bataille de Marathon 1959).

Au sommet, je place Rendez-vous avec la peur en 1957, qui donne vraiment de l’angoisse. Pourquoi ? Parce que le film est structuré par un scénario excellent et puissant, ce que n’ont pas toujours, loin de là, la plupart des autres films cités.

Paradoxalement, ce qu’il y a à apprécier le plus dans Les filles de la concierge (1934), c’est l’ingéniosité gaie du scénario. Un peu comme dans un vaudeville réussi s’entrecroisent les histoires et les personnages, à coup de quiproquos, de petits secrets amusants, de personnages décalés, de méprises qui manquent de gâcher le bonheur de tout le monde… mais qui finissent se dénouer dans un agréable happy end.

Mme Leclerc (Jeanne Cheirel) règne avec autorité sur sa loge et son immeuble de Montmartre ; au verbe haut, à la gouaille facile, elle est avant tout débordante d’amour pour ses trois charmantes filles. Au moment où le film commence, l’aînée, Lucie (Ghislaine Bru) et aussi la plus sage, ouvrière dans une usine de boutons métalliques est fiancée à Albert (Paul Azaïs) qui rêve d’être taxi, mais est pour l’heure le chauffeur d’un richissime anglais, Henry Robertson (Youca Troubetzkoï). La deuxième fille, Suzanne (Josette Day) est vendeuse dans un magasin de jouets. L’ayant aperçue à côté de son chauffeur – qui invente une histoire pour justifier sa présence à ses côtés – Robertson se fait conduire au magasin ; coup de foudre réciproque et presque d’emblée, mariage envisagé…

La troisième fille, Ginette (Germaine Aussey) est la plus coquette, la plus légère des trois sœurs, est mannequin dans la maison de couture de Gaston Bernal (Marcel André), libidineux grassouillet patron qui fait miroiter aux jolies filles qui travaillent pour lui, l’emploi de Première vendeuse, puis, après avoir consommé la reddition des oiselles, les installe dans leurs meubles… jusqu’au remplacement par la prochaine dupe naïve. Un jeune pâtissier, Jacques (Pierre Nay) est l’amoureux transi de la frivole Ginette ; mais c’est un obstiné !

Voici les conditions et les cadres posés : on en devine tout le potentiel et notamment ce ressort dramatique excellent : le chauffeur et son maître vont, par la force de l’intrigue, se retrouver beaux-frères lorsque tous ont auront été mariés à leurs chéries, ce qui arrive vite. En faisant chauffer la cocotte-minute, on perçoit vite le potentiel, dont je ne vais pas conter les détails ; mais tout cela est gai, enlevé, plein de jolies ressources et d’une charmante musique.

Je sais bien qu’en 1934, la crise battait son plein (bien qu’en France elle ait été moins ravageuse qu’aux États-Unis) et qu’à l’Est montaient des lueurs sauvages ; mais le gentil cinéma populaire faisait un peu oublier les mauvais jours. De toute façon les apparitions de Maximilienne, autruche osseuse et voisine aigrie suffisent toujours à me faire hausser mon appréciation !

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