Les souliers de Saint-Pierre

Un fou furieux.

Ça doit être un sourire narquois du Bon Dieu ! Voilà qu’il m’est donné de regarder Les souliers de Saint Pierre quelques semaines après que j’ai vu Conclave d’Edward Berger et surtout que j’ai suivi avec un infini intérêt l’élection au Siège de Pierre de notre nouveau Pape Léon XIV. Le film de l’assez terne Michael Anderson a connu un assez grand succès en 1968. Bâti sur un de ces romans étasuniens du polygraphe Morris West, qui font la joie des plagistes et des libraires, compte tenu de leur grand nombre de pages en gros caractères, propices aux lectures d’été, le film, doté de confortables moyens financiers et d’une distribution sévèrement bornée ne manque pas de qualités.

Mais manque tellement de spiritualité et de subtilité qu’il se confine dans une de ces grosses machineries hollywoodiennes qui ne font que passer sur les écrans sans laisser le moindre souffle ; c’est tellement convenu qu’on ne peut qu’attendre la fin du robinet d’eau tiède ; mais c’est tellement bien fait, bien illustré, bien doté de belles couleurs et de belles séquences qu’on regarde ces longues heures sans déplaisir.

Alors prisonnier dans un goulag sibérien, Karol Lakota (Anthony Quinn) ancien archevêque de Lvov, cité de Galicie dont ont on ne sait vraiment si elle est ukrainienne ou polonaise, est libéré de sa géhenne par le secrétaire général de l’Union soviétique, Piotr Ilyich Kamenev (Laurence Olivier), qui, d’une certaine façon, admire sa résistance et sa pureté. Pourquoi le fait-il ? Tout simplement parce que le monde va de plus en plus mal, que la Chine est alors affamée et menace de se soulever et, de ce fait, susciter une nouvelle guerre mondiale.

Tout cela est assez farfelu ; ce qui l’est un peu moins c’est l’idée que le Pape qui influence et règne (ou est censé régner) sur presque un milliard de catholiques peut avoir la moindre influence sur le rapport de forces. Je n’ai rien contre et je pense même que si les enseignements de l’Évangile étaient davantage acceptés, le Monde s’en porterait plutôt mieux. Mais je ne pense pas que ce soit pour demain.

Il est évident, pour qui connaît un peu le cinéma étasunien que Lakota, au bout de plusieurs scrutins infructueux, sera élu Pape grâce, notamment, à la prise de parole de son adversaire spirituel, le cardinal Rinaldi (Vittorio De Sica) qui a reconnu son charisme et sa hauteur.

C’est à partir de là que le film se gâche : tout ce qui se passait dans les merveilleux décors de la cité vaticane, tout ce qui s’attachait aux fastes somptueux de l’Église, de nature presque documentaire, est de grande qualité. Ceci si on veut bien s’abstraire des intrigues sentimentalo-grotesques qui mettent en scène un journaliste George Faber (David Janssen), sa femme (Barbara Jefford) et sa maîtresse Chiara (Rosemary Dexter).

Et même aussi des préoccupations théologiques conduites par le frère David Telemond (Oskar Werner), figure recréée de Pierre Teilhard de Chardin. On a vraiment l’impression que Morris West a voulu accumuler dans son roman (qu’il ne me viendrait pas à l’idée de lire) tout le fourbi possible sur l’Église, sans y connaître grand-chose.

Le pape élu, dans un esprit très progressiste, commence par décontenancer ; on voit bien où vont les sympathies innovatrices du film et où l’on imagine que va dériver le catholicisme. Heureusement, quelques années plus tard, un Souverain pontife venu de l’Est, Karol Woljtila, Saint Jean-Paul II, est revenu mettre de l’ordre dans tout ce fourbi bêlant. (Théologie de la Libération et autres calembredaines).

La vieille lune du partage entre les pauvres des trésors de l’Église me fait toujours penser à ces braves gens qui pensent que, si les députés étaient payés au Smic, il n’y aurait plus de misère dans le monde. On pourrait aussi suggérer que l’Église cède Saint-Pierre de Rome, Saint Paul de Londres, Saint-Patrick de New-York, Notre-Dame de Paris, la Sagrada Familia de Barcelone, etc. à des promoteurs immobiliers qui construiraient là des parkings : ces édifices sont généralement centraux, bien placés, et suffisamment de grande hauteur pour qu’on y puisse y ranger une grande quantité de places hélicoïdalement…

Il y a toujours de braves crétins qui n’ont aucune sensibilité à ce qu’est la Civilisation ; une jeune fille à qui, dans un groupe, j’essayais d’inculquer un peu de culture générale, m’a même demandé pourquoi on allait sauvegarder Notre-Dame : on aurait pu créer à la place un grand espace vert.

Voilà donc qu’un film bien filmé, avec de beaux moyens, de beaux acteurs, bénéficiant de toute la beauté de la cité vaticane et des rituels magnifiques du catholicisme qui malheureusement ne fait que produire une banale niaiserie…

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