Ma Jeannette et mes copains

L’Église rouge.

On passerait des années entières (nuits comprises) à gambader sur le site de l’Institut National de l’Audiovisuel (I.N.A.) qui est statutairement chargé depuis 1974 d’archiver toute la production audiovisuelle et qui met à disposition publique un catalogue qui compte plus de 100.000 documents et ne cesse de s’agrandir ; il y a de tout : actualité, politique, sport, curiosités. Et une multitude de petits films charmants ou bizarres ou graves qui relatent la vie quotidienne, l’évolution des modes et des mœurs, les mutations économiques, les habitudes d’achat… Plein de merveilles où l’on peut naviguer à sa guise et où on n’est limité que par le temps qu’on subit et la durée normale d’une vie. Mais quand je serai au Paradis avec l’éternité devant moi, je commencerai à approfondir.

L’I.N.A. propose donc plus de 100.000 documents. Moins vertigineux, le site de Ciné Archives n’en offre que 1000. Mais c’est la formidable belle et bonne initiative du Parti communiste français d’avoir très anciennement commencé à collecter tous les documents qui se rapportaient à une croyance qui a réuni des millions de gens dont la plupart n’étaient pas admirateurs des assassins staliniens, mais plutôt de braves gens qui espéraient des lendemains qui chantent, selon la belle et niaise formule de Gabriel Péri.Sur le site Ciné Archives sont donc compilés des tas de films tournés au fil des ans par des militants, des amateurs habiles, des professionnels du cinéma. Il y a de tout : en Noir et Blanc et en muet, les images d’une réunion de section ou d’un meeting de province ; des fêtes populaires ; des manifestations ; des montages de photos ou de bribes de films consacrés aux grandes figures du mouvement ; des reportages sur la vie quotidienne des communistes : ventes à la criée de L’Humanité, collage d’affiches, démarchages auprès des voisins…

Les très rares bizarres qui ont la faiblesse de me lire savent que j’ai une tendresse profonde pour ces bonnes gens et que j’ai déjà beaucoup écrit sur ces films en exaltant leurs vertus. Depuis La vie est à nous de Jean Renoir (1936), Le temps des cerises ou L’école buissonnière l’un et l’autre de Jean-Paul Le Chanois (1937 et 1949) de La terre fleurira et Les copains du dimanche d’Henri Aisner (1954 et 1958) du Rendez-vous des quais de Paul Carpita (1955). Et, plus tard, la nostalgie de ces années fières et inconscientes, dans Rouge baiser de Véra Belmont (1983, mais le film se passe en 1952) ou dans Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes de Jean-Jacques Zilbermann (1993);

Je viens sur le site rouge de découvrir Ma Jeannette et mes copains (1953) de Robert Ménégoz, qui a réalisé bon nombre de films souvent un peu documentaires que je regarderai sûrement prochainement comme Vivent les dockers dont le titre dit clairement l’orientation et l’atmosphère.

Comme il est paisible, ce film et comme il offre une image de la France ouvrière des années d’après-guerre où l’on pensait aller forcément vers le meilleur…

Le film est une sorte de documentaire sur le bassin minier des Cévennes ; car il n’y avait pas que les grandes exploitations du Pas-de-Calais qui extrayaient du charbon de la terre de France ; il avait aussi, à Saint-Étienne, à Decazeville (Aveyron) à La Mûre (Isère) des mines qui fournissaient de la houille et qui se sont peu à peu éteintes au fil des années. En tout cas, du côté d’Alès et de La Grand’Combe, des tas d’ouvriers vivaient – avec davantage de soleil – ce que vivaient leurs frères d’Artois.

Et de la même façon : perspectives de dangers et de mutilations dus à l’effondrement d’une galerie… Vies simples, sans révoltes, même avec une forme de résignation ; sentiment d’être mineurs depuis des générations et de devoir perpétuer ad libitum un métier sans perspectives mais accepté sans rechigner. On sort de la taille à 15h, on marche vite vers les bennes qui, après avoir charrié le charbon, transportent les mineurs vers le village… On se baigne et se lave en passant dans la rivière et on retrouve ses plaisirs : le calme du village (Pont de Rastrel dans le Gard), la pétanque où l’on s’écharpe, le pastis que l’on partage.

Et l’amour qui s’émerveille entre René, le mineur et Jeannette, la jeune fille délicieuse.

Le film ne dure que 25 minutes ; il n’en faut pas plus pour conclure sur la fête, partagée par tous, du 14 juillet où tout le village se réunit, se régale, chante et danse. Tous ensemble. C’était l’esprit du temps. Où est-il passé ?

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