Tenue de soirée

Pour mettre mal à l’aise…

On peut bien se demander quelle place Bertrand Blier pourra laisser dans le cinéma français et même si, dans dix, vingt ou trente ans, une trace subsistera. Bien sûr, on citera avec jactance Les valseuses, parce que le succès public, l’irruption de deux talents exceptionnels, Patrick Dewaere et Gérard Depardieu dans le paysage de l’époque, la grossièreté provocante du récit, la virtuosité de la mise en scène ont marqué durablement nos souvenirs ; mais pour le reste ? Je pencherais volontiers pour l’outrance inaccoutumée et les séquences dégoutantes de Calmos … Mais ce sont bien souvent des films qui partent à cent à l’heure puis s’essoufflent sans que les promesses initiales puissent satisfaire le spectateur.

En même temps, un vent d’originalité dans le cinéma français trop formaté par les ukases de la Nouvelle vague et les impératifs imposés par les exigences de la télévision, qui avait naguère encore besoin de films pour les soirées tranquilles passées au fond des canapés. Des idées intéressantes, même davantage, qui se dispersent au fil des séquences.

Le début de Tenue de soirée est une vraie merveille, marquée par des dialogues acérés au couteau et par la miraculeuse conjonction de deux tempéraments d’acteurs extraordinaires.

Au fait, si je me suis décidé à revoir le film, que je n’avais alors guère apprécié, quarante ans après sa sortie au cinéma, c’est par crainte qu’il soit bientôt interdit, bien-pensance wokiste régnante et Vertu arborée à toute occasion. Dieu merci, il est encore possible de regarder des films tournés par Gérard Depardieu et même d’en acheter des DVD. Nous ne sommes pas encore soumis tout à fait à la dictature du Camp du Bien.

Il n’y avait évidemment que cet immense acteur pour tenir un rôle improbable, invraisemblable, perturbant et y être pour autant, particulièrement éclatant.

Cette espèce de brute charismatique qui surgit dans la vie parcimonieuse, mesquine, minable d’Antoine (Michel Blanc) et de Monique (Miou-Miou) et qui emporte tout sur son passage, les repères, les identités, les cadres, les morales, les évidences (qui ne sont plus si évidentes, de ce fait)… Comment ce diable de Bertrand Blier parvient-il à ne pas faire décrocher le spectateur, tout au moins dans les deux premiers tiers du film, la fin étant moins satisfaisante ?

Comment fait-il ? La qualité des acteurs, évidemment, mais aussi, grandement, la qualité des dialogues, pointus, précis, acérés, chirurgicaux. La violence des situations, pareillement  ; le cambriolage destructeur considéré comme un des beaux-arts avec plus de violence encore que dans le superbe Voleur de Louis Malle

À ce niveau s’insère la trop courte, mais magnifique scène avec les riches dépressifs (Jean-Pierre Marielle et Caroline Silhol) qui se transforme en partouze sanglante et marque un degré de plus dans la transformation d’Antoine.

Bob (Depardieu), grand fauve dominateur n’a pas le moindre mal à entraîner dans son tourbillon les deux paumés qui voient en lui à la fois l’issue des médiocrités qui pèsent sur leurs minables épaules et la force d’une autorité qui les fascine autant l’un que l’autre. Tout cela est dans l’ordre des choses.

Ce qui l’est moins c’est la relation homosexuelle torrentueuse qui s’impose. Non qu’elle soit invraisemblable ; mais parce qu’en 1986, date de sortie du film, il fallait un sacré culot à l’auteur et un sacré courage aux acteurs pour l’imposer comme une évidence… D’autant que le côté sordide est appelé à se renforcer. Scène dans les toilettes avec le souteneur Pedro (Michel Creton), raffinement obscène de l’amateur d’art antique (Bruno Cremer) violente engueulade subie par Monique qui n’en fait pas assez à la maison et, à la fin, tapinage du trio dans le brouillard glacé.

Il n’est pas impossible que Bertrand Blier n’ait jamais vraiment su s’arrêter à temps et qu’il ait trop souvent basculé de la délicieuse grossièreté à la déplaisante vulgarité… Énigme à résoudre !!!

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