Lorsque Claude Autant-Lara a pris la tête de la liste du Front National aux élections européennes de 1989, le Camp du Bien a été horrifié, scandalisé. Tout juste s’il n’a pas prêté au grand cinéaste la paternité idéologique du Triomphe de la volonté ou du Juif Süss,œuvres emblématiques du cinéma nazi. En fait la doxa moraliste était décontenancée qu’un homme qui avait été un de ses fermes compagnons de route ait changé d’orientation et de chemin et soit passé au service de la droite dure. Mais en fait depuis toujours Autant-Lara ruait dans les brancards et n’était pas cataloguable. Vilipendé par la Droite avant la guerre, bien qu’il n’eût pas été conforme aux standards staliniens, il apparaît plutôt comme un anarchiste antimilitariste, anticlérical, anti bourgeois mais qui, pour autant n’aime pas le populo. Quel film est plus noir que Douce, plus méprisant envers l’Humanité tout entière que L’auberge rouge, plus empli de mépris de classe que La traversée de Paris ?
Anticonformiste, Autant-Lara était aussi un provocateur qui s’emparait de sujets sulfureux, choquant volontiers le bourgeois moraliste et coincé : Le diable au corps, Le blé en herbe, Le Rouge et le Noir mettent en avant une sexualité puissante qui se moque des convenances ; tout comme La jument verte, En cas de malheur, Les régates de San Francisco ; Le journal d’une femme en blanc traite de la contraception et surtout de l’avortement, à une époque où ça ne se faisait pas.
Rien d’étonnant donc que Tu ne tueras point s’empare, en 1961, d’un sujet plus que sensible : l’objection de conscience ; la guerre d’Algérie bat son plein et le contingent y est pleinement associé ; peu de conscrits refusent de servir le pays, mais le débat est constamment posé par le camp progressiste, le Parti socialiste Unifié, Témoignage chrétien, etc.Il n’y a pas de sexualité, pas même de sensualité dans le film et une seule figure de femme, celle de Suzanne Flon (remarquable, d’ailleurs), mère de l’objecteur Jean-François Cordier (Laurent Terzieff). On voit par là que le réalisateur a souhaité évacuer tout ce qui aurait pu parasiter son propos. Film à thèse avec tous les défauts que ce genre peut comporter mais qui porte assez de complexité pour mériter respect et admiration, quoi qu’on pense du fond du sujet.
Le scénario, dû à Jean Aurenche et Pierre Bost, comme de coutume, sans être complexe est habile, brillant, même. Parallèlement deux histoires : celle de Rudolf Adler (Horst Frank) qui, alors encore séminariste, a été obligé, sous l’ordre exprès de son supérieur, le 29 août 1944, alors que la Wehrmacht s’enfuyait de Paris, d’abattre un jeune Résistant français et qui est, cinq ans après amené à être jugé pour ce fait de guerre par un Tribunal militaire. Et celle du jeune Jean-François Cordier qui, lors de son incorporation à Paris en 1949, refuse calmement mais obstinément de porter l’uniforme et décline toutes les concessions proposées par l’Armée pour éviter le scandale.
Cordier est un personnage tout d’une pièce mais extrêmement cohérent, presque jusqu’à l’absurde. Proche d’être psychiatriquement réformé, il laisse au médecin le soin de le catégoriser : son action ne peut avoir de sens que si chacune des parties va au bout de sa logique. La sienne est absolue : il se dit alors catholique et pose la parole du Christ au-dessus de toutes adaptation ou appréciation faites par l’Église et la société.

C’est évidemment la limite du film. Suzanne Flon a beau lancer à son fils, condamné à un an de prison qu’elle est fière de lui, alors qu’Adler a été acquitté puisqu’il n’a fait qu’obéir aux ordres, le manichéisme est par trop démonstratif. Cela étant, la qualité filmique de Claude Autant-Lara est toujours de haute qualité et quelques scènes sont très émouvantes. Celle, par exemple, de grandes tension et émotion où Horst Frank, au jeu très sensible, et le jeune résistant qu’il doit abattre se retrouve l’un en face de l’autre et disent ensemble un Notre Père superbe, l’un en latin, l’autre en français.