Les corridors inouïs de l’Histoire.
On ne parle plus guère aujourd’hui de Robert Enrico qui avait pourtant commencé sa carrière de réalisateur par un chef-d’œuvre du court métrage, La rivière du hibou et l’avait émaillée de bons ou très bons films (Les grandes gueules, Le vieux fusil), de moins bons qui furent pourtant de grands succès publics (Les aventuriers, Boulevard du Rhum). On lui doit aussi le tour de force d’avoir réalisé la première partie,intitulée Les années lumière, du diptyque La révolution française, financé par la mission du Bicentenaire de la Révolution de 1789 ; tour de force pour avoir montré, alors que tout le monde s’attendait à un panégyrique bêlant, toutes les saletés de cette période nauséabonde (et le deuxième volet, Les années terribles, de Richard T. Heffron enfonce encore le clou du cercueil).
Robert Enrico aime jouer sur les subtilités, les ambiguïtés, les vertiges de l’Histoire ; il s’inspire dans Vent d’Est d’une péripétie tout à fait exacte, survenue à l’extrême fin de la guerre, juste après le suicide d’Hitler le 30 avril 1945, à l’heure où les derniers défenseurs du bunker, Lettons, Norvégiens, Français se font hacher menu par les troupes soviétiques. Le 2 mai, à la tête des débris de la 1ère armée nationale russe (462 hommes, 30 femmes et 2 enfants), le général Boris Smyslovski (Malcolm McDowell) pénètre en Principauté du Liechtenstein, estimant, à juste titre, que les Soviétiques massacreront ses pauvres troupes dès qu’elles les auront cernées.
Cette 1ère Armée nationale russe a, en effet, combattu aux côtés de la Wehrmacht sous uniforme allemand. Composée de Russes blancs, de Baltes, mais aussi de déserteurs ou de transfuges, elle a compté jusqu’à 6000 hommes sous la conduite, donc, du général Smyslovski, ancien officier de l’armée impériale et de l’armée blanche du général Denikine (qui manqua de peu, en octobre 1919, de renverser les Soviets).
Au contraire de tous les pays européens qui, conformément aux accords de Yalta, livrèrent à Staline les Soviétiques réfugiés sur leur territoire, le petit Liechtenstein, qui ne compte que 12.000 habitants refuse de céder. Les hommes sont désarmés, la discipline est maintenue, les contacts entre les femmes et les soldats sont proscrits, les paysans locaux reçoivent de nouveaux bras pour les récoltes et paraissent en être satisfaits. Les témoignages historiques de l’époque remarquent cette bonne coexistence.
Cela a été rendu possible par la décision du souverain, le Prince François-Joseph (Patrice Alexsandre), soutenu par sa femme (Elena Safonova), mais aussi par le choix déterminé du docteur Joseph Hoop, Premier ministre (Pierre Vaneck). À rebours, le Père Anton Siegler (Jean-François Balmer) chef du Parlement, ecclésiastique roublard et salace, par crainte de l’Armée rouge souhaite expulser les intrus.
Cette histoire formidable qui met en jeu la complexité du monde aurait dû être une grande réussite ; d’autant qu’elle compte un aboutissement glaçant, aussi authentique que tout le reste : en août 1945, une délégation soviétique envoyée au Liechtenstein, parvient à convaincre 200 soldats de revenir en Russie, où le bienveillant Staline leur accordera le pardon. Bernique ! au bout de quelques dizaines de kilomètres ils sont abattus à la mitraillette.
Pourquoi Robert Enrico, avec un scénario en or, ne réussit-il pas son film ? Je n’en sais trop rien : éparpillement sur des histoires secondaires, absence du creusement en profondeur du caractère des protagonistes principaux ? Va savoir…
N’empêche que c’est bien intéressant de connaître ce frémissement oublié de l’Histoire…