Mais quelle horreur ! Mais quel film catastrophique, pas même doté du charme indéfinissable du nanar, film involontairement comique ou grotesque, qu’on prend un certain plaisir trouble à voir, mais affligé de la condition de l’insipide navet, mauvais, mauvais du début à la fin, à peine supportable, et dont rien ne surnage que la pesanteur de l’ennui !
Déjà le DVD est une catastrophe ; une des pires reproductions de VHS qu’il m’ait été donné de voir ; on sait bien que la collection Gaumont à la demande prévient assez franchement l’acheteur que le film est présenté sans aucun nettoyage et amélioration ; la copie offerte vaut donc ce que vaut la matrice initiale ; et celle-là n’est pas jolie à voir… on est au même niveau que dans du René Château.
Mais ce qui est inquiétant, c’est que Château a, depuis quelques années, cessé de présenter des films de réalisateurs de qualité pour se cantonner dans le deuxième (ou troisième) rayon, et ce qu’on supporte avec agacement, mais résignation pour des œuvres (?) de Georges Lampin, Léonide Moguy ou Claude Boissol, on est beaucoup moins prêt à l’admettre pour Julien Duvivier
, Max Ophuls
ou Jean-Pierre Melville
; j’appréhende donc vivement mes prochaines visions de Carnet de bal
, de De Mayerling à Sarajevo
ou de Deux hommes dans Manhattan
, acquis dans cette collection.
Qu’est-ce que Richard Pottier
, le réalisateur de ce Picpus
infâme ? Je connaissais de lui l’amusant et insignifiant Mademoiselle Swing
, témoignage d’un cinéma intemporel et léger tourné pendant la guerre (1942) et deux bons films, Barry
et l’excellent Meurtres
; il s’est ensuite beaucoup consacré à la voix de caramel dur de Luis Mariano, parce qu’il faut bien vivre (Violettes impériales
, Le chanteur de Mexico
). Une carrière qui n’a rien d’antipathique.
Maigret incarné par Albert Préjean ? Là, je suis plus circonspect. Le côté gouape, grande gueule à qui on ne la fait pas, prolo au coup de poing facile et au parler faubourien n’est pas du tout, vraiment pas ce qui convient pour le lourd commissaire au verbe rare, au pas mesuré. Je n’ai vu ni Pierre Renoir
dans La nuit du carrefour
, ni Harry Baur
dans La tête d’un homme
, mais je les crois beaucoup plus ressemblants, comme le seront, plus tard Jean Gabin
, Bruno Cremer
, voire Jean Richard
.
Et de fait Albert Préjean est épouvantable, bondissant, glapissant, titi parisien sans mesure et sans profondeur, apparaissant comme décalé et mal à l’aise à chaque fois qu’il fait mine de réfléchir devant son patron à la Police judiciaire (Antoine Balpêtré, remarquablement mauvais pour une fois). Il est affligé comme second d’un Gabriello aussi effrayant que d’habitude, c’est-à-dire au fin fond de la nullité. Jean Tissier
fait deux brèves apparitions, sauvant à peu près sa mise. Et c’est tout…
Et puis, et c’est sans doute ça le pire, le film est traité comme une énigme à résoudre ; je sais bien que Delannoy a fait à peu près la même chose avec Maigret tend un piège
et Maigret et l’affaire Saint-Fiacre
, montés comme le sont, à la même époque, les enquêtes des Cinq dernières minutes
, lorsque le commissaire Bourrel (Raymond Souplex
) comprend en s’exclamant Bon sang, mais c’est bien sûr ! qui est le coupable. Mais dans les films de Delannoy
, il y a aussi, et sacrément bien vues, des atmosphères, celle du Marais d’avant les bobos dans le premier, celle du Bourbonnais dans le second.
Parce que Simenon, dont est tiré Picpus
(l’ai-je dit?), c’est avant tout cela : une ambiance, lourde, poisseuse, enveloppante. On disait de lui qu’il était bien meilleur dans la peinture des états que dans celle des actions, ce qui est très juste. Et dans le pauvre film de Pottier
il n’y a qu’une succession de péripéties invraisemblables et mal agencées, difficiles à suivre et terriblement ternes. Je songe à une autre catastrophe cinématographique, 120, rue de la Gare
de Jacques Daniel-Norman avec le très médiocre René Dary
qui interprète (!) un autre policier vedette, Nestor Burma. Picpus
est peut-être, sans doute encore pire…