Regain

Les deux Provences

Quatrième roman de Jean Giono, histoire âpre dont le personnage principal est le village, mourant puis renaissant. Un village de la Provence grise.

Il y a deux Provences ? Oui, deux Provences. Et peut-être pourrait-on même en dire trois, si l’on considère que le pays d’Arles, la Camargue sont aussi un peu à part. Et encore je ne parle pas du comté de Nice, qui occupe la partie orientale du département des Alpes maritimes, et qui relève d’une autre histoire, d’un autre dialecte, dont la cuisine est différente, etc.

Deux Provences, donc. Celle, populeuse et opulente de la côte et des plaines maraîchères et viticoles, le pays d’Aix, le Comtat Venaissin (je sais ! ce n’est pas historiquement la Provence, mais ce l’est culturellement !), celle des ports, l’un tourné jadis vers les colonies, aujourd’hui vers le monde (Marseille), l’autre base navale (Toulon) ; dans l’esprit et dans la réalité, c’est une Provence aimable, volontiers rieuse ou outrancière, celle du pastis, de la pétanque, de la galéjade, celle des cyprès et de la Méditerranée. C’est – en très gros – celle de Pagnol, celle de Raimu et de Fernandel (et de toute la troupe !).  Ça, c’est la Provence bleue.

Puis il y a la Provence grise ; oh ! ce gris n’est pas celui du ciel, puisqu’il y a encore plus souvent de soleil à Sisteron qu’à Marseille ! Mais précisément ce soleil écrase tant la terre qu’il en retire la couleur ; gris des plateaux, gris des lézards, gris des lavandes (c’est le lavandin, forme abâtardie et cultivée, qui est violet vif). C’est la Provence de la solitude, des villages abandonnés, de l’eau qui manque. C’est la Provence où des drames terribles et silencieux se jouent dans l’immensité vide. C’est la Provence de Giono.

D’où la réelle incompréhension entre les deux grands écrivains : Giono, dont étaient tirées nombre des histoires tournées par Pagnol (Angèle, Regain) trouvait que la part trop belle était faite à la comédie, au verbe haut, à la jactance, et, naturellement que le doigt n’était pas mis sur la dimension tragique du pays, sur l’aridité des paysages et des sentiments. Regain est une tragédie grecque ; mais parce que Fernandel y apparaît, il y a un, décalage ; de la même façon, dans Manon des sources, cette histoire de pauvreté et de misère, ce drame du bossu et de sa famille qui « tous les jours de leur vie » vont chercher à la source lointaine l’eau qu’on leur a volée, il y a un clivage entre ce que devraient être les gens du village et leur jovialité déjà marseillaise. Si l’on veut avoir une idée de ce que pouvait être la Haute-Provence, la Provence grise dont je parle, c’est dans Crésus, de Giono, précisément, qu’il faut la trouver (Fernandel y est mieux contrôlé ; et puis, peut-être, pour la production, son nom était-il nécéssaire).

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