120 battements par minute

Le masque de la mort rose.

Je me méfie assez des films trop unanimement appréciés et couverts d’un nombre invraisemblable de prix et de récompenses : quand tous le jurys, toutes les académies, tous les groupements et syndicats de journalistes ou d’auteurs font pleuvoir sur un film, un réalisateur et des acteurs un déluge de mentions et de célébrations, on peut souvent se dire qu’il y a anguille sous roche. Et même qu’on n’a pas osé faire moins lorsqu’a été mise en scène une cause jugée incontestable (en tout cas non-critiquable en soi) et la réalité de drames humains survenus. Et si je renonce à citer tout ce qu’a obtenu 120 battements par minute, dont la liste est impressionnante, il faut tout de même citer le Grand prix du Jury et le Prix de la critique internationale au festival de Cannes et six Césars 2018, dont celui du meilleur film et celui du meilleur scénario.

On m’a prêté le DVD du film, regardé donc avec une certaine circonspection, mais aussi avec de la curiosité. Le récit du combat de l’association Act’up pour, selon elle, réveiller les Pouvoirs publics, la recherche médicale et l’opinion publique et la mobiliser contre les ravages du SIDA n’est pourtant sans doute pas de ceux qui me passionnent a priori. Autant le dire, je suis depuis toujours aussi stupéfait que des hommes puissent en regarder d’autres avec désir et ce désir, dont je ne conteste pas l’existence, m’est mystère absolu. Mais enfin, je suis bien obligé de constater que certains des écrivains que j’admire le plus, Marcel ProustAndré Gide, Henry de MontherlantLouis Aragon (et bien d’autres) ont eu ce goût pour leur propre sexe et que cette détermination semble être aujourd’hui largement admise.

Mais je ne comprends pas davantage que des humains, voire des proches, aiment vivre à la campagne ou soient végétariens ou abstinents ; et de la même manière, je tente de ne pas porter de jugements de valeur. Chacun vit sa vie personnelle comme il l’entend (et surtout comme il peut) marqué bien davantage par une suite de contraintes que de choix. Je ne dirais pas la même chose sur le plan sociétal, mais ceci est naturellement un autre sujet.

Venons-en au film de Robin Campillo qui présente d’une façon assez documentaire l’action d‘Act’up au début des années 90, y compris, selon ce que j’ai lu, dans l’entrelacs des parcours individuel de ses personnages, tous inspirés de militants ayant réellement existé. Il fait alterner histoire du groupe et histoire de deux de ses membres, Sean (Nahuel Pérez Biscayart) et Nathan (Arnaud Valois).

La vie du groupe est constituée d’assemblées générales, de réunions hebdomadaires extrêmement régulées, où on lève la main pour prendre la parole, où on applaudit l’intervenant en claquant des doigts (les applaudissements perturbant, paraît-il, la bonne tenue des débats), où l’on rend compte des travaux de chacune des commissions et notamment de la commission médicale qui expose de délicats travaux de recherche scientifique. Mais cette vie est également marquée par des fêtes orgiaques (on peut comprendre que, tant à faire, on ait envie de danser sur un volcan) et par le défilé débridé de la Gay pride. Mais il y a aussi des actions publicitaires très spectaculaires où les militants font irruption en vociférant dans des colloques ou des entreprises pharmaceutiques dont les locaux sont arrosés de poches de faux sang (fabriqué artisanalement dans des baignoires entières). Ma foi, pourquoi pas ? on sait bien que pour se faire entendre et contrairement à ce qu’on veut nous faire accroire, il faut crier le plus fort possible.

L’histoire de Sean, séropositif radical et de Nathan, séronégatif séduit par son partenaire emplit peu à peu l’écran, s’impose graduellement, au fur et à mesure que Sean descend vers la mort. Étonnante performance d’acteur, au demeurant, que celle de Nahuel Pérez Biscayart dont on voit de manière saisissante la dégradation physique, du jeune homme plein de grâce au malheureux garçon amaigri aux yeux creux de la fin. Campillo fait bien sentir, me semble-t-il, ce qu’a pu être l’angoisse de tous ces jeunes hommes (les filles sont ultra minoritaires) qui apprenaient chaque semaine la disparition de l’un ou l’autre de leurs amis…

Cela dit, le film est tout de même beaucoup trop long (2 heures 20) et très répétitif dans toutes les scènes du groupe ; en élaguant plusieurs séquences, le réalisateur aurait fait gagner du rythme, au détriment, peut-être de la dimension historique mais au bénéfice de la qualité du récit. Puis je me serais bien passé de la longueur et de la complaisance des scènes de sexe. Et enfin je m’interroge encore (mais cela rejoint sûrement mon incompréhension totale de la mentalité homosexuelle) sur ces dernières scènes où Nathan (Arnaud Valois), qui vient donc de perdre Sean, qu’il aimait, demande à Thibault (Antoine Reinartz), président d‘Act’up que Sean détestait mais qui est venu s’incliner devant sa dépouille, de passer la première nuit de deuil avec lui. Et on baiserait et tout ? demande Thibault ; Bien sûr ! répond Nathan. Ce qu’ils font. Ça m’a un peu glacé.

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