20000 lieues sous les mers

« Homme libre toujours tu chériras la mer… »

Si l’on a dix ou onze ans, ou un peu plus, ou un peu moins, on se régalera de 20000 lieues sous les mers, parce que c’est rythmé, rapide, clair, angoissant et gratifiant tout à la fois, parce que ça fonctionne bien. Comme fonctionnaient toutes les belles machines hollywoodiennes de nos années adolescentes. Car si on a soixante-dix ans, ou davantage, un peu moins, un peu plus, on se régalera de retrouver un film parfaitement semblable au souvenir qu’on pouvait en avoir : exotisme, féerie, angoisse, hauteur de vue, explorations sous-marines, dévouement absolu au chef mystérieux, anéantissement très noble et très bien consenti de tous ceux qui ont suivi ce chef.

Si l’on n’a plus une âme enfantine – parce que l’on est passé dans le monde des adultes – ou si on ne l’a plus – parce que l’on est vraiment trop vieux ou parce que l’on a un peu honte de se retrouver enfermé dans sa propre enfance – que penser du film de Richard Fleischer, tellement conforme aux productions dispensées à l’envi par la firme Walt Disney ? Je n’en sais rien, à dire vrai et même je suppose qu’on puisse être un peu goguenard devant le placage consciencieux, mais tout de même assez terne d’un film bien agencé sur un roman violent, destructeur, méchant même, de Jules Verne qui, succès atteint, après Cinq semaines en ballon et Voyage au centre de la Terre pouvait vraiment tout se permettre, y compris l’anarchisme mortifère du capitaine Nemo.

Car c’est bien ce que sous-tend l’intrigue : la haine absolue de Nemo pour l’humanité, ici et là dissimulée sous les oripeaux d’un combat contre une puissance (jamais nommée) qui lui a enlevé femme et enfants et qu’il poursuit désormais de sa vindicte. Quoique les propos soient très édulcorés dans le film et même dans le roman, on songe à cette haine nihiliste incarnée par Souvarine (Laurent Terzieff) dans l’assez beau Germinal de Claude Berri : Si mes mains le pouvaient, elles prendraient la Terre jusqu’à la casser en morceaux.

Naturellement comme il s’agit d’un film destiné à un public enfantin, on n’en est pas du tout là. Et Jules Verne lui-même met de larges freins à ses sentiments profonds. Ce qu’il y a d’assez réussi dans le film et que Richard Fleischer n’a pas du tout trahi, c’est la conjonction du pur récit d’aventures, avec des personnages fortement typés, et de la détestation brute de l’humanité exprimée par Nemo.

On ne retiendra guère de tout ceci que les caramboles, fariboles, gugusseries du maître harponneur Ned Land (Kirk Douglas) mis en vedette auprès de ses bien pâles compagnons de captivité, le professeur Arronax (Paul Lukas) et son zélé domestique Conseil (Peter Lorre), le mutisme glacé du capitaine Nemo (James Mason) et de son second, jamais nommé (Robert J. Wilke). Et naturellement des belles images du monde du silence, tant vénéré par Nemo.

Et aussi du calmar géant. Au contraire de beaucoup, j’ai trouvé la bestiole bien impressionnante, aussi terrifiante que dans mon souvenir, avec ses tentacules formidables qui secouent les coursives du Nautilus et manquent de tuer Nemo jusqu’à ce que l’habile harponneur Ned Land en vienne à bout en visant parfaitement l’espace situé entre les deux yeux de l’affreux monstre.

Notons encore la hauteur du langage, empli de mots rares, que nos dix ans entendaient pourtant parfaitement et le regard jeté sur la sauvagerie des peuplades cannibales de Nouvelle Guinée ou d’autres lieux identiques. Y’a pas à dire, le monde a bien changé depuis 1954. En mal, évidemment.

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