La ville est tranquille

Magnifique. Désespérant.

Est-ce un hasard si le plus noir, le plus sombre, le plus désespéré, le plus désespérant des films de Robert Guédiguian est, à mes yeux, le plus réussi, le plus magnifique, le plus attachant, le mieux composé ? La ville est tranquille ne comporte désormais plus aucune des scories, des maladresses, des naïvetés de ses précédentes réalisations et jongle avec virtuosité avec l’entrelacs d’histoires parallèles, toutes fortes, émouvantes, d’une infinie tristesse.

Comme certaines parallèles finissent par se côtoyer et même par se croiser, contrairement aux ukases absurdes de la géométrie euclidienne (certaines, mais pas toutes : ne tombons pas d’une billevesée dans une autre), cela donne un film qui saisit dès les premières images, éclatantes, du générique. Long panoramique qui remonte les quais de Marseille, de la Joliette vers le Vieux Port et qui montre, mieux qu’un long discours combien la ville est une juxtaposition de quartiers qu’unit seulement la vocation maritime et l’amour inconditionnel pour le glorieux Olympique de football.

Cités HLM du nord, beaux immeubles du sud, villages de maisonnettes imbriquées les unes dans les autres, le tout relié par des ponts, des estacades, des portions d’autoroutes qui éventrent la cité et la parcellisent. Partout aussi des entrepôts, des hangars, des docks ; et beaucoup d’usines désaffectées dont le béton finit de s’esquinter au rude soleil. Marseille ne va pas bien : chômage, violence, difficultés d’intégration d’une immigration galopante.

Et ravages de la drogue, bien sûr. C’est peut-être par là qu’il faut commencer à saisir le film tant l’héroïne pèse sur le destin de Michèle (Ariane Ascaride), dont le mari est alcoolique, chômeur et violent et dont la fille Fiona se prostitue à toute la cité pour payer ses doses, incapable d’élever son bébé, dont elle ne connaît d’ailleurs pas le père. Fiona, c’est Julie-Marie Parmentier, que j’ai découverte dans Les blessures assassines de Jean-Pierre Denis – l’histoire du crime abominable des sœurs Papin – et dont la qualité de jeu ne cesse de me bluffer).

Michèle, c’est le personnage le plus extraordinairement positif et courageux du film, en tout cas parmi les premiers rôles, qui porte sur ses épaules et dans son cœur toute la misère, tout le chagrin, toute la fatigue du monde, qui travaille la nuit à la criée aux poissons, ne revient chez elle que pour donner le biberon à sa petite fille et soigner son enfant blessée et toujours en manque. Et si elle finit par procurer de la drogue à Fiona, à se prostituer pour en acheter et, à bout d’épuisement par céder à la fatalité de l’inéluctable, ça ne peut pas retirer un iota à l’admiration qu’on porte à sa force d’âme.

Autour d’elle, les habituels complices de Guédiguian, Paul (Jean-Pierre Darroussin), doux vieux garçon aux parents aimants (Jacques Boudet et Pascale Roberts) et Gérard (Gérard Meylan), muré dans ses souvenirs et sa violence. À côté d’elle, qu’elle ne verra pas mais qui, comme elle, font partie de la grande respiration blessée de la ville, un couple bourgeois, en train d’éclater (Christine Brücher et Jacques Pieiller), un jeune Comorien, Abderramane (Alexandre Ogou), une belle fille un peu timbrée, Ameline (Véronique Balme)… destins qui se croisent, qui influent peut-être les uns sur les autres…

Rares sont les scènes apaisées, dans La ville est tranquille ; je n’en vois, à dire vrai, qu’une seule, très drôle, d’ailleurs : Paul (Darroussin, donc), qui est conducteur de taxi, chantant à Michèle (Ascaride), L’Internationale, en français, anglais, espagnol, allemand… Mais que de séquences tendues, pénibles, douloureuses, même (ainsi les supplications de Fiona, en manque d’héroïne, à sa mère, pendant que son bébé hurle).

La-ville-3Tout est noir. Et quelles solutions ? Guédiguian achève son film sur un très jeune virtuose qui enchante et réconcilie tout le voisinage par la beauté des mélodies qu’il joue sur le grand piano qu’on vient de lui livrer. L’image est incongrue et belle, miraculeuse presque.

Comme était l’envolée vers le Ciel des pauvres habitants du bidonville de Miracle à Milan.

Mais, pour Guédiguian, le Paradis n’existe pas. Et l’Espérance est morte.

 

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