Marie-Jo et ses deux amours

afficheLe petit désastre illustré.

Quand je parle de petit désastre illustré en évoquant Marie-Jo et ses deux amours, ça ne s’adresse pas à la maîtrise du récit, ni à la façon de filmer, ni à la régulière beauté photogénique de Marseille, ni au jeu des acteurs. Mais bien à la trame du film, à la triste décomposition d’un équilibre impossible, à la tragédie inéluctable de la situation.

À force de faire tourner ensemble Ariane AscarideJean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan, il ne pouvait qu’être évident à Robert Guédiguian d’élaborer une histoire où Marie-Jo, femme aimante de Daniel-Darroussin serait en même temps éperdument amoureuse de Marco-Meylan. À une autre époque, à un moment différent de son parcours intellectuel et artistique, il aurait été possible de réaliser une joyeuse utopie partageuse, presque bon enfant où les deux hommes se seraient entendus comme larrons en foire et auraient partagé leur amoureuse. Mais cela, c’était avant, au moment des espérances et des rêveries révolutionnaires…

Il n’est pas indifférent que le désenchantement politique, la fin des espérances collectives, la déception devant l’inutilité des luttes aboutissent, sur un plan privé, à la confusion du cœur, à la frustration et au chagrin. Désillusion sociale d’un côté, voie sans issue de l’autre. L’aveugle fraîcheur révolutionnaire, ses lendemains qui chantent et aboutissent, à chaque fois, sur les massacres et les goulags a pour miroir, dans la vie sentimentale, la douleur permanente de n’être, à aucun moment, pleinement en accord avec soi-même.

Sauf dans le grand oubli du plaisir : Marie-Jo le dit, d’ailleurs : elle n’est pleinement heureuse que lorsqu’elle fait l’amour, avec l’un ou avec l’autre, avec son mari ou avec son amant. L’éclat blanc de la volupté lui dissimule tout le reste…

C’est précisément là que mon bât blesse : ces corps trop souvent dévêtus, encore disponibles et vibrants mais déjà un peu usés cachent mal l’évidence de l’impasse et quand la fille de Marie-Jo, Julie (Julie-Marie Parmentier, aussi excellente que de coutume) lance à sa mère qui vient de réintégrer la maison après une longue escapade, puis à son père, qui accepte de l’accueillir, après avoir été tant et tant bafoué, avec l’intransigeance de la jeunesse, qu’elle les méprise et que tout ce qu’ils font (la hardiesse amoureuse de l’une, la résignation triste de l’autre) ne les empêche pas d’être vieux et laids, elle vise assez juste.

J’ai trouvé le film assez lourdement charnel, lourdement inspiré aussi, manquant de grâce et de subtilité : c’est visible dans la conduite de l’intrigue (le mari constatant l’infidélité de sa femme de façon tout à fait inopinée, par un hasard improbable, apprenant l’adresse de son concurrent par un autre hasard) ; ça l’est davantage dans la conclusion, affreusement mélodramatique : puisque la situation n’avait pas d’issue, pourquoi Guédiguian, se voulant démiurge, en a-t-il donné une, tragique et de mauvais goût ?

Reste ce que j’aime chez Guédiguian : Marseille et les petites gens… Il n’y a pas de misérabilisme prolétarien : simplement des ouvriers solides (Daniel est maçon, Marco pilote du Port) qui vivent honnêtement de beaux métiers, qui ont les soucis de tout le monde… jusqu’au moment où le romanesque s’en empare ; ce qui est dommage.

Leave a Reply