Still life

Drôle d’endroit pour ne pas se rencontrer.

J’ai toujours peine à croire que la Chine n’est plus le pays du Lotus bleu, des mandarins, des coolies et des pousse-pousse, pour qui, dans mon enfance, on récoltait les papiers d’argent qui entouraient le chocolat afin de venir en aide à ses nombreux enfants. Je sais bien – les actualités me le répètent à tout moment – que c’est aujourd’hui la deuxième Puissance du monde et elle nous envahit de cent produits qui ne sont pas toujours de qualité. Je me rappelle aussi les Cent fleurs, le Grand bond en avant, les gardes rouges, l’adulation femelle des gauchistes européens pour Mao Tse-tung et la Révolution culturelle.

Il n’y a rien de tout ça dans Still life : aucun des buildings de la modernité, aucune des usines fébriles d’activité, aucune des images touristiques de la Grande muraille ou de la Cité interdite. On voit une zone crasseuse, brouillardeuse, sur-occupée par des immeubles minables construits à la va-vite et n’importe comment, qui cohabitent, si l’on peut dire, dans la boue et les gravats, avec des sortes de bidonvilles humides faits de tôles rouillées.

zang keOn démolit tout ça pour édifier le gigantesque barrage dit des Trois-gorges, qui est le plus grand du monde. Dans une sorte de fièvre frénétique, on casse sans désemparer, en prenant à peine des précautions pour sauvegarder une tombe très ancienne… C’est une Chine qu’on ne voit pas, qu’on n’imagine guère : celle qui n’est pas la rutilante vitrine ouverte sur le monde, conquérante et arrogante ; celle des millions, des centaines de millions, sans doute, de pauvres gens qui survivent mal et peu. Le miracle chinois semble plein d’épines acérées.

Dans ce bruyant capharnaüm, deux histoires parallèles qui ne s’entremêleront pas, mais qui se ressemblent : un mineur Han Sanming, venu de loin pour retrouver sa femme et sa fille, qu’il n’a pas vues depuis seize ans ; une infirmière, Shen Hong (Tao Zhao) qui recherche son mari pour en divorcer. Tout le récit est fondé sur la difficulté qu’ils éprouvent, dans ce monde mouvant en train de s’écrouler, dans cette Chine qui se pulvérise, mixte de traditions archaïques et de modernité déjà usée.

Je ne me suis pas vraiment attaché aux destins entrecroisés, un peu trop lentement exposés, et à des personnages dont on sait et saura si peu qu’on a du mal à éprouver pour eux la moindre empathie ; mais je dois reconnaître au cinéaste, Jia Zhang-ke un talent certain pour faire sentir la pesanteur des lieux, leur atmosphère malsaine, leur poussière et leur laideur. Ce qui ne me suffit tout de même pas à le placer dans mon panthéon, quoique les critiques semblent en penser le plus grand bien, le film ayant remporté le Lion d’or à Venise et le réalisateur étant qualifié par Le Monde de plus grand cinéaste chinois de tous les temps.

Ce qui est amusant, c’est que vient de sortir en DVD le film de François Villiers qui s’appelle L’eau vive sur un scénario de Jean Giono (et n’a aucun rapport avec le recueil de nouvelles du même Giono), film qui relate la construction du barrage de Serre-Ponçon et de la canalisation de la Durance. Je gage que c’est moins gigantesque. je suis sûr que ça me plaira bien davantage.

Leave a Reply