Avec le sourire

La fête des fripouilles.

Avec le sourire n’est pas seulement un très gentil film de 1936, année follement insouciante, un film qui permet à Maurice Chevalier de faire admirer sa gouaille et son incroyable talent d’interprète ; un talent qui culmine au moment où il explique à Marie Glory qui interprète Gisèle, débutante au music-hall le délicieux Chapeau de Zozo en indiquant comment, pour séduire un public forcément très varié, il faut en détailler chaque distique de façon différente : pour les gens du monde, pour les gens du peuple, pour les apaches et pour une minorité, oh, une toute petite minorité, les gens un peu, un peu efféminés…Avec le sourire, c’est encore beaucoup mieux que ça, quelque chose qui détonne un peu et qui surprend davantage.

On pourrait presque sous-titrer le film, en parodiant le Donatien de Sade, Victor Larnois (Chevalier) ou les prospérités du vice et Ernest Villary (André Lefaur) et les malheurs de la vertu, réunissant ainsi deux des romans les plus emblématiques du Divin marquis qui affuble de ces appellations les deux sœurs dissemblables Juliette et Justine. Diable ! va-t-on me dire… Comment pouvez-vous aller chercher quoi que ce soit de sulfureux dans ce qui ne paraît être qu’une comédie légère, musicale et sans aspérité ?

C’est que précisément je n’ai pas souvenance d’avoir vu autant d’immoralité joyeuse et de cynisme célébrés et assumés, autant de fripouilleries accomplies par les héros gaiement mises en scène, avec une conclusion qui ne prêche pas seulement le sourire comme moyen d’arriver à la fortune dans la vie, mais aussi – et surtout – la débrouillardise sans scrupules et la coquinerie érigée comme un des beaux-arts.

De quoi s’agit-il ? Victor (Chevalier), chemineau sans un sou, qui ne sait pas même écrire, mais qui est doté d’un charme irrésistible et d’une grande ingéniosité fait la connaissance, porte de Saint-Cloud de Gisèle (Marie Glory), anonyme girl d’une revue qui se joue au Palace, propriété d’Ernest Villary (André Lefaur), grognon au cœur d’or. D’emblée on voit bien que les deux jeunes gens sont dotés de ce qu’on appelait jadis une morale élastique, elle ne demandant pas mieux que de se faire offrir son repas par qui voudra bien le payer, lui ne reculant pas devant le vieux truc du chien qu’on dérobe avant de le rapporter contre récompense à son propriétaire.

Par une longue suite de friponneries, dont aucune n’est innocente et qui, si elles étaient traitées sur le mode dramatique, pourraient conduire à des drames, Victor s’insinue graduellement dans la vie du music-hall, évinçant peu à peu le chasseur Albert (Rivers-Cadet), à qui il révèle l’infidélité de sa femme, Bruzin (Jean Gobet), le secrétaire du patron en distillant des médisances et prenant à chaque fois leur place tout en trafiquant autant qu’il peut sur les programmes mais aussi en développant ingénieusement la publicité de l’établissement. Profitant habilement de l’accident mortel d’un des associés de Villary, il le remplace, impose Gisèle, qui devient sa maîtresse, comme meneuse de revue, bien qu’elle n’ait aucun talent, mais qui bénéficie d’un succès de scandale, l’associé étant censé de s’être suicidé pour elle. Et, tout aussi coquine que son amant, Gisèle montera un scandale qui fera chuter le brave et grognon directeur en le séduisant après avoir convié Mme Villary (Paule Andral) à constater les turpitudes de son mari et en faisant mine d’être surprise par elle.

Victor finira par déloger Villary, qui sera réduit à la ruine. Il parviendra, par un habile chantage à devenir directeur de l’Opéra, place plus conforme aux ambitions mondaines de Gisèle et à recueillir son ancien patron à qui il tentera d’enseigner sourire et sens de la combine. Et tout ça se terminera dans une grande gaieté.

Je ne voudrais pas tirer des conclusions trop graves sur ce qui n’est un film de second rang, fort plaisant au demeurant. Mais je ne puis toutefois m’empêcher de songer à la folle insouciance qui régnait en France au moment où, de l’autre côté du Rhin, on se préparait à marches forcées à d’autres réjouissances. Un des grands succès de l’époque, chanté par Albert Préjean (et bien d’autres) était Amusez-vous, Foutez-vous de tout, La vie passera comme un rêve…. On a vu.

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