Bad Lieutenant

Le fond de la piscine.

Il paraît que Bad lieutenant est un film mythique, le meilleur de son réalisateur, 90 minutes qui prennent au cœur (et un peu davantage) et installent une atmosphère poignante, dure, angoissante. Harvey Keitel, acteur massif et inquiétant y est omniprésent, occupant l’écran pendant toute sa durée, jusqu’à lasser le spectateur qui aimerait pouvoir de temps en temps aller respirer autre chose que les miasmes qu’il dégage. Franchement il n’y a pas tant que ça de films qui reposent autant sur des épaules massives et pourries de son acteur principal, qu’on devrait d’ailleurs appeler acteur unique. Même chez les Gabin ou les Funès, on pouvait toujours distinguer, en troisième plan, un rôle, une silhouette reconnaissable. Là, rien du tout.

Je n’ai pas de réticence pour les films dépressifs, pour ceux qui présentent le monde dans son orientation la plus complétement fatidique et salie. Il ne faudrait pas d’ailleurs me pousser beaucoup pour voir en eux une lucidité cruelle qui tranche avec tous les péans optimistes et politiquement corrects. Mais Bad lieutenant semble être une sorte d’exercice de style caricatural et, comme on l’a dit, une véritable parodie filmée avec beaucoup de complaisance. Toutes les trois minutes le Lieutenant (Harvey Keitel) (qui, au demeurant, n’est jamais nommé ; il est rare qu’on ignore dans un film le nom ou le prénom ou le surnom du personnage principal), déguste, respire, s’injecte, fume des doses de substances qui devraient, normalement, assommer un éléphant.

Pourri jusqu’à l’os et camé jusqu’au trognon, on l’a compris, passant ses journées dans sa voiture à renifler tout et n’importe quoi et ses soirées à tirer des coups sans passion et sans plaisir apparent avec de pauvres filles qui ne sont pas plus propres que lui. À ce point de dépendance, on se demande bien ce qu’il pourrait faire de ses sous s’il parvenait à remporter ses paris sur les compétitions de base-ball : engager une cure de désintoxication ? Tu parles !

Le scénario de Bad lieutenant est particulièrement inintéressant. Le scénario ? Quel scénario, d’ailleurs ? Il n’y a rien du tout à part, brusquement, en matière de provocation, le viol sauvage d’une religieuse (Frankie Thorn), qu’on déflore avec un crucifix et qu’on torture en écrasant sur elle des cigarettes. On ne saura rien de la sainte fille non plus que la raison qui aura poussé ses tortionnaires Julio (Fernando Velez) et Paulo (Joseph Micheal Cruz) à l’esquinter. On ne sait pas qui sont les liens du Lieutenant avec sa famille, sa vieille mère (?), sa femme (?); ses sœurs (?) et presque même ses enfants.

L’orientation d’Abel Ferrara est sans doute de tout salir, de ne pas laisser la plus petite marge d’espoir. D’ailleurs, plus le film avance, plus ces marges se restreignent, de la même façon que les espoirs de gain sur les paris sportifs s’estompent : on voit bien qu’il n’y aura pas de miracle et que le gouffre financier va se creuser jusqu’à ce que la mafia en ait marre du flic corrompu et l’abatte.

L’abatte après une scène particulièrement ridicule où le Lieutenant, dans une église où il est venu voir une sorte d’exercice pratique du pardon, pratiqué par la religieuse envers ses agresseurs, se mette à beugler en espérant que le Christ va lui tendre la main. La façon dont il gracie et se libère des deux violeurs se voudrait une sorte de catharsis mais à force de faire dans l’outrance et l’emphatique Abel Ferrara bascule dans le grandiloquent et le grotesque.

Harvey Keitel montre ses muscles, prouve qu’il a une grande familiarité avec toutes les façons possibles de s’esquinter le bulbe (car il paraît que toutes les scènes de drogue ont été non simulées, comme on dit) et disparaît en laissant au spectateur une impression d’ennui avec un zeste de dégoût. Ou d’égout, ce qui est à peu près la même chose.

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