Bagdad café

La bonne fée dans le désert enchanté

Drôle de petit miracle, Bagdad café… Comment un réalisateur allemand absolument inconnu a-t-il pu accéder de façon très éclatante à la grande notoriété mondiale avant de replonger presque immédiatement ensuite dans l’obscurité ? Un film tourné dans les déserts du sud-ouest des États-Unis sans aucun autre acteur notoire que Jack Palance qui n’était plus, depuis longtemps, au devant de la scène ; un film dont les deux principales actrices féminines, l’une et l’autre de grande qualité, Marianne Sägebrecht, l’Allemande et CCH Pounder, la Noire étasunienne et où il ne se passe que si peu… Percy Adlon ne s’était jusque là signalé que par un film très très confidentiel, Céleste, adapté des brèves mémoires de Céleste Albaret, la servante-gouvernante des dernières années de la vie de Marcel Proust. À la suite du succès rencontré par Bagdad café, je note un ignoré (de moi, en tout cas) Rosalie fait ses courses. Puis il est paisiblement (j’espère) retourné vers la Germanie et la télévision.

L’accroche, la première séquence, du film est excellente, surprenante, incongrue, voluptueuse dans son incongruité, précisément. Un couple de Teutons replets, dodus, confortables ; l’homme et la femme sont manifestement exaspérés l’un par l’autre ; leur voyage touristique dans l’Ouest des États-Unis patine sérieusement. Un voyage dont ne connaîtra que peu de choses, au demeurant, ni depuis quand il se déroule, ni quel en a été l’itinéraire, ni même la raison.

Monsieur (Hans Stadlbauer) et Madame (Marianne Sägebrecht) Münchgstettner habitent Rosenheim, un grosse bourgade de 60.000 habitants de la périphérie de Munich ; ils sont Bavarois presque caricaturalement On ne verra pas beaucoup le mari, les trois premières minutes passées mais la dégaine de Jasmin Münchgstettner, vêtue d’une jupe lourde de feutre vert, d’un corsage empesé, coiffée d’un chapeau de chasse traditionnel orné d’une plume de faisan est délicieusement typique. Et lorsqu’elle ouvrira sa valise (en fait celle de son mari, intervertie lors de la querelle), on aura le plaisir de découvrir une superbe culotte de cuir (Lederhose).

Un motel (le Bagdad café) on ne peut plus minable, crasseux, poussiéreux, assoiffé. Y végètent Brenda (CCH Pounder), bosseuse, énergique, irritable qui se bat contre le monde entier, avant tout son feignant de mari Sal (G. Smokey Campbell), sa coureuse de fille Phyllis (Monica Calhoun) qui saute après tous les routiers qui passent et Salomo (Darron Flagg) son fils pianiste lunaire qui a tout de même trouvé le moyen de faire un bébé à on ne sait qui. Un employé flegmatique Cahuenga (George Aguilar) et quelques pensionnaires, plus ou moins parasites, la tatoueuse mutique Debby (Christine Kaufmann) et l’ancien peintre en décors de cinéma Rudy Cox (Jack Palance), qui n’est pas tout à fait revenu de ses rêves hollywoodiens. On le voit, une belle collection de marginaux et de laissés-pour-compte.

Jasmin qui arrive dans ce caravansérail, dans ce souk débilitant est une vraie ménagère allemande, efficace et robuste comme une Volkswagen. Sa stature et sa corpulence interdisent qu’on l’assimile à la Fée Clochette de Peter Pan. Elle est plutôt une sorte de Mary Poppins, une magicienne qui va transformer, à sa mesure, le petit monde où elle a échoué ; et cela pas simplement parce qu’elle pratique la prestidigitation. J’irais sans doute un peu (beaucoup) trop loin en la comparant à Bobi, l’étranger miraculeux qui ouvre les yeux des habitants du plateau Grémone dans Que ma joie demeure de Jean Giono et les conduit à la beauté gratuite et à la bienveillance.

C’est un film très plaisant, qui donne un sourire connivent. Les dix dernières minutes, comme dans les neuf dixièmes des films sont en trop, les images sont violemment colorées, les angles de prise de vue un peu bizarres et les gros plans excessifs. Le thème musical, qui a connu un immense succès, n’est pas déplaisant du tout. On ne va pas jusqu’à avoir envie d’aller s’établir dans le désert Mojave mais enfin, si un coup du sort devait m’y contraindre à y passer une nuit, je me ferais une raison. Surtout si Brenda (ou ses héritiers) sont parvenus depuis lors à obtenir une licence de vente d’alcool.

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